Mantry (Jura)

1. Localisation et emprise connue de l’occupation

 

Les recherches qui ont accompagné la mise en place de l’autoroute A 39 à travers le Jura ont permis la découverte, au niveau des communes de Mantry et Arlay, d’un site d’atelier de potier au lieu-dit Sous la Ville. La découverte de ces structures très arasées est à mettre en lien avec un site d’habitat gallo-romain qui s’étend à l’est à Champ Chala, sur quelques hectares, repéré depuis le XIXe siècle. Notre connaissance des vestiges reste néanmoins très limitée dans l’état actuel des recherches. Il est encore difficile d’établir l’existence ici même d’un habitat groupé à vocation artisanale. Mais cet ensemble s’insère dans un groupe plus vaste avec les ateliers repérés à Chaumergy ou Villers-Farlay, sur la bordure orientale de la Bresse comtoise, au pied du massif jurassien. L’atelier de Mantry se développe non loin d’axe de circulation important tel que la voie romaine reliant Lyon à Strasbourg, via Lons-le-Saunier et Besançon, et à proximité de la vallée de la Seille.

 

 

2. Cadre naturel

 

Le site antique de Mantry est localisé au lieu-dit Champ de la Ville, à l’ouest du village de Mantry, à 16 km au nord de Lons-le-Saunier. La zone concernée par l’étude se situe à la frontière de deux grandes régions naturelles séparées par un axe globalement sud-sud-ouest /nord-nord-est, de Vincent et Sellières à Villeneuve-d’Aval. À l’est de cette limite, la bordure externe du Jura, ou faisceau lédonien, est constituée de lanières allongées du nord au sud couvertes par le vignoble jurassien. À l’ouest s’étend une région topographique molle largement boisée et humide, partie de la Bresse orientale. Le site de Champ de la Ville s’étend sur une altitude comprise entre 225 à 230 m.

 

 

3. Etat des connaissances

 

Le territoire de Mantry est essentiellement composé de terrains boisés et de prairies, laissant peu de chance au prospecteur archéologique de mettre au jour de nouveaux sites. Diverses découvertes ont toutefois été effectuées sur la commune, concernant essentiellement l’époque gallo-romaine. Plusieurs constructions ont ainsi été identifiées aux lieux-dits Champ Bourrelier (UI n° 3), Sous la Ville (UI n° 5), à Sauvement (UI n° 4), à Chaplembert (UI n° 1 et 2) ou encore à Champ Chala (UI n° 6). Mais dans la plupart des cas, ces occupations ne sont connues que par quelques « débris de construction (ou par des fragments) de tegulae » (Rousset 1853-1858, IV, p. 73). La mise en place du projet du prolongement de l’autoroute A39 entre Dole et Bourg-en-Bresse dès le début des années 1990 a entraîné de nouvelles recherches sur le territoire de Mantry puisque l’infrastructure passe à l’ouest de la commune. Une première étude documentaire a été réalisée en 1989 dans le cadre de la bande des 300 m. Ce premier travail a consisté avant tout à dresser un état de la documentation à partir des données disponibles sur le tracé concerné. Il a surtout mis en lumière les sites majeurs dont certains, portés à la connaissance du maître d’ouvrage, ont pu être évités par le tracé définitif. Suite à cet état des connaissances, une série de prospections aérienne et pédestre a pu être engagée sur la zone afin de définir les secteurs archéologiques sensibles, susceptible de nécessiter des mesures de sauvegarde. Les prospections effectuées sur Mantry en 1993, notamment par P. Nowicki, ont mis au jour quelques sites et notamment au niveau de Champ Chala (UI n° 7), permettant ainsi de mieux circonscrire l’étendue de l’occupation antique dans ce secteur. Des photographies aériennes (UI n° 11) permettent également d’entrevoir le plan de l’établissement, qui couvre une superficie de plusieurs hectares, avec des structures en « dur » et des traces d’activités artisanales diverses (métallurgie, tuilerie), d’après les prospections effectuées autour de la zone fouillée (De Klijn 1996, p. 16). Suite à ces découvertes, la zone a fait l’objet d’une campagne de sondages en avril 1994, suivie d’un diagnostic complémentaire de trois semaines en avril 1995 (UI n° 8). Ces deux interventions ont permis la mise en évidence de quelques structures en creux et d’un mobilier céramique, datable du 1er Age du Fer, d’une zone de production de terre cuite gallo-romaine avec deux fours de potier, datables de la première moitié du Ier siècle ap. J.-C., ainsi que de plusieurs autres structures (trous de poteaux, murs…) mais qui n’ont pu être datées en raison de leur mauvais état de conservation (Charlier, De Klijn, Gourgousse 1994). En 1996, une fouille a permis de déterminer le plan d’ensemble de ces structures et d’apporter de nouveaux éléments de connaissance sur cette occupation antique inédite (UI n° 9 ; De Klijn 1996).

Par conséquent, la connaissance du site de Mantry/Champ de la Ville repose essentiellement sur les données de cette fouille, sur une bande de 100 de largeur. Les prospections pédestres réalisées à l’est ont, elles aussi, permis de compléter le dossier. Mais la détection aérienne reste difficile dans ce secteur, et le seul cliché disponible ne fournit que très peu d’éléments sur l’organisation spatiale du site.

 

 

4. Organisation spatiale

 

            4.1. Voirie

Au cours de prospection aérienne en 1993, P. Nowicki a repéré une voie traversant la commune du nord au sud, en provenance de Sellières et se dirigeant vers Arlay (UD n° 1). Il s’agit du seul axe de communication antique repéré sur le territoire. Cette voie doit correspondre à la voie romaine déjà signalée par A. Rousset (1853-1858, IV, p. 73).

 

            4.2. Le bâti

La pauvreté des vestiges gallo-romains issus des fouilles (1996) et du diagnostic (1994) suggère que nous sommes ici en périphérie d’un ensemble beaucoup plus vaste qui se développe directement à l’est de la zone de fouilles, à Champ Chala et Sous la Ville (UD n° 6 et 7). La localisation et la nature des indices de prospection, couvrant une superficie de plusieurs dizaines d’hectares, sont suffisamment éloquentes. De nombreux éléments de construction (tegulae, blocs calcaires, mortier de tuileau, céramique et mobilier métallique) ont été repérés en surface, traduisant en même temps la faible profondeur d’enfouissement des vestiges. Quoique situé à proximité de l’autoroute, l’absence de toute fouille de ce site ne permet pas de cerner la nature et l’extension de ce site (UD n° 7). Les photos aériennes montrent quelques vestiges bâtis, mais aucun plan cohérent ne peut être établi, ni même géoréférencé. La présence des deux fours de potiers, d’un volume restitué assez considérable, traduit néanmoins l’existence d’une activité artisanale d’une certaine importance.

 

            4.3. Etendue supposée et remarques

L’occupation semble s’étendre sur une dizaine d’hectares. Toutefois, le manque de données sur les vestiges et leur nature, faute de recherche approfondie sur le secteur à l’est des ateliers fouillés, ne permet pas de confirmer cette emprise au sol.

 

 

5. Nature et caractérisation de l’occupation

 

La caractérisation de l’occupation repose sur des données issues des prospections pédestres et des fouilles de l’A 39.

 

5.1. Artisanat

La fouille de 1996 a livré deux fours de potier excavés très mal conservés car extrêmement arasés par l’érosion. Seuls le fond des structures et le départ des parois subsistent (UD n° 7. L’absence de relation stratigraphique entre les deux structures, distantes de quelques mètres, ne permet pas de proposer de chronologie relative. Les deux fours sont datés de la première moitié du Ier siècle ap. J.-C., uniquement par la céramique commune retrouvée dans les fosses adjacentes.

Le mobilier étudié dans le cadre de cette étude provient du comblement des deux structures de combustion et des quatre fosses dépotoirs attenantes. Ces structures ont livré 1792 fragments parmi lesquels on a dénombré 77 individus minimum. La plupart des tessons ont un aspect savonneux et poreux dû sans doute à une mauvaise cuisson, quelques fragments sont surcuits, mais aussi à l’altération provoquée par le milieu dans lequel ils étaient conservés. La production est essentiellement composée de vaisselle. Les céramiques communes fines à pâte claire sont majoritaires, mais l’officine a aussi produit des céramiques tournées à pâte plus grossière et tenté la fabrication de Terra Nigra. En fait, on peut distinguer trois grands groupes de production en fonction de l’aspect de la pâte et de la morphologie des récipients : les céramiques communes à pâte fine et claire, les céramiques communes à pâte fine et claire ou sombre, et les céramiques communes à dégraissant sableux. La majorité des formes produites à Mantry est caractéristique de la première moitié du Ier siècle ap. J.-C. Le répertoire des formes, sans particularité spécifique, s’inscrit dans le faciès gallo-romain de cette période et offre une certaine parenté avec les céramiques que l’on rencontre sur des sites éloignés : en Bourgogne, dans la vallée de la Saône, vers le nord à Bâle et à Mandeure, et plus généralement sur les sites de l’axe Rhin-Rhône. Les résultats de la campagne de fouille montrent que la production est relativement limitée en quantité, de plus l’atelier ne semble pas très étendu en surface. Ceci implique une diffusion plutôt restreinte et dévolue au marché environnant pour cette production. Les sites de Quintigny et de Ruffey-sur-Seille, tout proches, recèlent des céramiques qui pourraient provenir de ce site de production. Cette officine, plutôt modeste, a donc sans doute une diffusion très localisée, et ne semble pas avoir fonctionné au-delà de la première moitié du Ier siècle ap. J.-C.

 

L’occupation repérée à l’est de l’atelier de potier a livré d’autres traces d’artisanat avec notamment une probable activité de tuilier observée en prospection au sol (UD n° 6). Des scories démontrent également la présence d’une activité artisanale du fer.

 

 

6. Chronologie et critères de datation

 

La chronologie d’occupation du site repose exclusivement sur l’étude des deux fours de potier et du mobilier issu des structures fossoyées adjacentes. En outre, si des traces d’une occupation du 1er Age du Fer sont attestées sur le site, elles sont trop ténues et trop peu nombreuses pour pouvoir définir la nature, l’extension et le statut de cette occupation. Elles pourraient bien être mises en relation avec l’existence d’un habitat, dont la localisation est à rechercher en dehors des limites des emprises de fouille.

 

6.1. Haut-Empire

La prospection du site de Champ Chala, à l’est, a livré un mobilier plus important dans lequel on retrouve deux monnaies, un demi-As de Nîmes et une monnaie consulaire datée de 74 av. J.-C.

Le mobilier issu du comblement des fosses attenantes aux deux fours de potiers a permis d’établir une occupation de l’ensemble à la première moitié du Ier siècle de notre ère. En marge des productions de l’officine, les structures ont livré quelques fragments de céramiques non tournées, déterminant deux individus, dont une écuelle à bord rentrant. Les céramiques importées ne sont représentées que par trois fragments de sigillée provenant d’une fosse. Il s’agit d’ailleurs de la seule fosse ayant livré du mobilier importé permettant de proposer une datation fiable pour les productions de cet atelier. Le bol Drag 24/25, probablement italique, est augustéen, l’assiette Drag. 15/17 est datée de la première moitié du Ier siècle ap. J.-C. (De Klijn 1996). La majorité des formes produites à Mantry sont également très caractéristiques de cette période.

 

6.2. Bas-Empire

Aucune trace d’occupation n’a été décelée lors des prospections pour la période du Bas-Empire.

 

 

7. Synthèse sur la dynamique d’occupation

 

Les découvertes anciennes et les fouilles de sauvetage liées au passage de l’autoroute A 39 au début des années 1990 révèlent dans cette zone une concentration de vestiges antiques de près d’une dizaine d’hectares, selon les prospections au sol réalisées. Cette occupation semble partager en deux pôles distincts puisqu’aucune structure d’habitats n’a été mise au jour lors de cette opération de fouille. L’occupation domestique semble alors s’étendre à l’est de Sous la Ville, à l’endroit où les prospections ont mis au jour nombre de terre cuite architecturale et scories au sol. La présence d’un atelier de potier, à l’ouest, composé de deux fours fouillés laisse à penser que contrairement aux très nombreux sites repérés dans cette zone, il ne s’agit peut-être pas d’un simple établissement rural. Leur intégration et leur fonctionnement à l’intérieur de ce vaste ensemble n’ont pu être assurés et nous ignorons de ce fait bon nombre de questions essentielles, liées à la productivité et à la distribution occasionnelle des surplus ou à la commercialisation des produits vers les marchés locaux. La faible quantité et la variété morphologique du mobilier recueilli dans le comblement des fours ne permettent également pas d’établir une typologie fiable et ancrée chronologiquement plus précisément que la première moitié du Ier siècle ap. J.-C. dans l’état actuel de l’étude. Cette activité est –elle alors à l’origine d’un groupement d’habitats dans le secteur de Champ la Ville ?  En tout état de cause, l’activité potière du site, aussi modeste qu’elle puisse être, s’intègre dans un ensemble plus vaste d’ateliers du sud de la Franche-Comté. La localisation de l’atelier, sur la bordure est de la Bresse et à proximité de la voie romaine Lyon-Besançon, est tout à fait comparable aux autres ateliers de potiers et de tuiliers situés dans le Jura. La carte des ateliers de potiers de ce département et de Saône-et-Loire montre une absence quasi totale de sites de production dans la Bresse bourguignonne. À l’échelle du Jura, la répartition des ateliers de potiers est tout à fait particulière puisqu’ils sont presque tous regroupés dans une zone de 8 km sur 15, au nord d’Arlay. Un marché local particulièrement important, en plus des voies de communication, pourrait-il expliquer cette concentration d’unités de production ? Plusieurs agglomérations antiques sont connues autour de ce secteur, tant au nord, à Grozon, qu’à l’est à Domblans, et au sud à Lons-le-Saunier. Si un marché local existait bien, il ne paraît pas suffisant pour expliquer un tel contraste entre cette zone et le reste du bas Jura pour la localisation des ateliers.

 

 

8. Perspectives de recherche

 

L’organisation spatiale de l’occupation antique de Champ de la Ville et Champ Chala fait encore largement défaut pour mieux caractériser le site. Une prospection géophysique, ou de nouveaux survols aériens au-dessus de cette zone, pourraient certainement permettre de pallier ce manque.

 

 

9. Bibliographie

 

Charlier, De Klijn, Gourgousse 1994 : CHARLIER (F.), DE KLIJN (H.), GOURGOUSSE (Y.) – Liaison autoroutière A 39, Dole (Jura) – Bourg-en-Bresse (Ain), SRA Franche-Comté, Besançon, 1994, 134 p.

 

De Klijn 1996 : KLIJN DE (H.) dir. – Mantry (39), « Champ de la Ville ». Une occupation du 1er Age du Fer et une officine de production céramique de la 1ère moitié du Ier siècle ap. J.-C., SRA Franche-Comté, Besançon, 1996, 49 p.

 

Nowicki 1993 : NOWICKI (P.) – Rapport de prospection aérienne, SRA Franche-Comté, Besançon, 1993, n. p.

 

Rousset 1853-1858 : ROUSSET (A.) – Dictionnaire géographique, historique et statistique des communes de Franche-Comté et des hameaux qui en dépendent classés par département ; département du Jura, Bintot impr., Besançon, 1853-1858, 6 vol.

 

Rothé 2001 : ROTHE (M.-P.) – Mantry, Carte Archéologique de la Gaule : Le Jura 39, Académie des Inscriptions et des Belles Lettres, Paris, 2001, p. 476-478.

Loïc Gaëtan

Illustrations Mantry