Lavans-lès-Dole (Jura)

1. Localisation et emprise connue de l’occupation

 

Sur le tracé de la voie romaine d’Agrippa reliant Châlon-sur-Saône à Besançon pourrait se développer un petit habitat de bordure de voie à la hauteur de la commune de Lavans-lès-Dole, au nord du passage à gué sur l’Arne. L’existence d’une agglomération antique à cet endroit n’est pas encore réellement avérée. Il existe toutefois un ensemble de vestiges antiques de part et d’autre de la voie romaine au lieu-dit Moulin-Rouge, à l’emplacement même d’un petit éperon barré datant des époques néolithiques et Age du Bronze. De manière générale, les connaissances concernant les vestiges de ces différentes époques sont très ténues. Elles sont en grande partie issues des recherches menées au XIXe et début XXe siècle.

 

 

2. Cadre naturel

 

L’hypothétique agglomération antique qui se développe au lieu-dit Le Moulin-Rouge se situe sur la commune de Lavans-lès-Dole, mais également à cheval sur les communes d’Audelange et Lavangeot. Commune du Pays dolois, située à 12 km au nord-est de Dole, Lavans-lès-Dole est implantée sur la rive droite du Doubs, à l’extrémité occidentale de la Forêt d’Arne qui occupe une partie de son territoire. L’agglomération se trouve sur le rebord du plateau surplombant le Doubs, à une altitude moyenne de 240 m. Les vestiges, eux, se retrouvent aujourd’hui en grande partie dans une partie forestière de la commune.

 

 

3. Etat des connaissances

 

3.1. Sources

De nombreux articles du XIXe siècle ont placé à tort Crusinia, dont le nom apparaît sur la Table de Peutinger, à l’emplacement du camp de Moulin-Rouge. Ce site, bien qu’implanté dans sa quasi-totalité sur la commune de Lavans-lès-Dole et situé à 2,5 km de distance de la limite communale d’Orchamps, a conservé dans l’érudition du XIXe siècle le nom de camp d’Orchamps (Castan 1854, p. 324). Cette enceinte s’est révélée appartenir au Néolithique et à l’Age du Bronze, quant à la localisation de Crusinia, il s’agirait finalement du nom de l’agglomération antique de Rochefort-sur-Nénon, située sur la même voie romaine, à 3,5 km au sud-ouest.

 

3.2. Historique des recherches

La localité du Moulin-Rouge, à Lavans-lès-Dole, a fait l’objet de quelques découvertes depuis le XIXe siècle. Une des premières trouvailles concerne la mise au jour d’un autel gallo-romain orné d’une inscription votive ainsi qu’un poids en plomb muni d’un anneau en fer (UI n° 6 ; Castan 1854, p. 327-328). Les principales découvertes vont toutefois se concentrer autour de la forge du Moulin-Rouge avec par exemple la découverte « d’ossements d’hommes et de chevaux », non loin de l’ancien lit du Doubs (UI n° 3 ; Castan 1857, p. 330). La construction du chemin de fer Dole-Besançon dans les années 1850 permit également un certain nombre de découvertes et notamment de monnaies et de trésor monétaire (UI n° 1 ; Rousset 1853-1858, p. 408). À chaque reprise, les découvertes ne concernent que du mobilier, les vestiges de bâti ne sont jamais mentionnés. La voie romaine Châlon-Besançon intéresse aussi beaucoup et tout particulièrement Julien Feuvrier et Pierre Brune qui menèrent de longues recherches autour de l’ouvrage en 1920. Dans leur publication sur Les voies romaines de la région de Dole (1920), ils décrivent avec précision le tracé de la voie d’Agrippa dans la région. Il en profite pour mener des prospections aux alentours (UI n° 5, 7 et 9). A. Castan s’était déjà, lui, intéressé à la voie à travers des descriptions très précises dans son article sur la Notice sur Crusinia, station militaire de la voie romaine de Châlon-sur-Saône à Besançon, et sur la découverte du champ funèbre qui lui servit de cimetière (1857, p. 316-339). Il s’interroge alors sur la localisation de l’agglomération de Crusinia et l’importance des vestiges situés à Lavans-lès-Dole. Il établit par la même occasion un plan et des coupes du petit éperon barré du Moulin-Rouge (1857, pl. III). Un siècle plus tard, des travaux sur la rectification du tracé de la RN 73 en 1967 permirent pour la première fois la découverte de vestiges d’habitats, non loin de la voie d’Agrippa. Une fouille fut immédiatement engagée sous la direction de J.-L. Odouze et P. Pétrequin (UI n° 8). De nouvelles prospections au sol sont menées dans les années qui suivirent afin de préciser l’étendue du site. Néanmoins, la présence de forêt et des constructions modernes limitent fortement la possibilité de recherches. Mais de manière générale, les recherches archéologiques ont été très peu nombreuses sur les communes de Lavans-lès-Dole, Audelange ou encore Lavangeot. Nous avons ainsi aujourd’hui un vrai déficit de connaissance sur les différents types d’occupation de cette région, et notamment du Moulin-Rouge, même si nous savons qu’il existe ici un site important depuis le Néolithique.

 

 

4. Organisation spatiale

 

            4.1. Voirie

Décrite par A. Castan en 1857, la voie romaine dite d’Agrippa (UD n° 1), reliant Châlon-sur-Saône à besançon via Dole, n’est pas aujourd’hui reprise par le tracé de la RN 73. Elle se retrouve parallèle à celle-ci, décalée vers le nord. Elle suit un rebord de plateau calcaire qui constitue la bordure nord de la vallée du Doubs. Large de 8 m, elle était encore visible au XIXe siècle (Marquiset 1841-1842, II, p. 367). A. Castan signale qu’elle était bien conservée aux abords de l’enceinte de Moulin-Rouge : « l’explorateur pourrait encore fouler aux pieds le grossier mélange de sable, pierraille et de chaux qui formait à sa surface une croûte imperméable, épaisse de 65 cm dans la partie centrale et de 45 cm vers les bords. Les paysans qui, en plusieurs endroits, sont venus exploiter cette espèce de béton au profit de leurs constructions particulières, ont rencontré, immédiatement au-dessous, plusieurs couches de moellons du poids d’une à quatre livres, et enfin un lit d’assez grosses pierres couchées sur le sol. La superposition de ces divers éléments constitue un agger légèrement bombé, dont l’élévation dépasse 1 m et qui ne mesure pas mois de 6 m de largeur, abstraction faite de ses talus. Notre route, on le voit, rentre dans la catégorie des chemins haussés, connus dans les campagnes sous le nom populaire de vieille levée » (Castan 1857, p. 316-317, pl. III). Par la suite, J. Feuvrier et P. Brune ont précisé son tracé : la voie, en provenance d’Audelange, « pénètre dans le Bois de la Corte ou de la Côte, dans la vaste enceinte néolithique de Moulin-Rouge, puis gagnait la lisière sud pour sortir de l’enceinte par une brèche de 45 m pratiquée dans le rempart est. À environ 150 m plus loin, on en rencontre, intact sous les broussailles, un tronçon de 100 m de longueur, en chaussée élevée de 0,75 m. De là, suivant la crête de la colline qui sépare les vallées du Doubs et de l’Arne, elle va couper à 800 m d’Orchamps la voie ferrée qu’elle suit » (Feuvrier, Brune 1920, p. 119). Malgré le manque de structures bâties, on suppose que l’habitat composant cette hypothétique petite agglomération devait se situer de part et d’autre de la voie, à la manière d’un « village-rue ».

 

            4.2. Structures bâties

L’habitat de bordure de voie supposé à Lavans-lès-Dole doit très certainement se retrouver de part et d’autre de la voie romaine comme le laisse supposer la répartition des découvertes réalisées depuis le XIXe siècle. Les seules structures jusqu’alors découvertes ont été mises au jour en 1967 lors d’une petite fouille avant la rectification de la RN 73, qui effectuait auparavant un crochet vers le sud, vers la forge de Moulin-Rouge. Deux petites constructions gallo-romaines accolées ont ainsi été fouillées (UD n° 6). Le lien avec la voie romaine, ainsi que l’organisation spatiale générale avec le reste de l’habitat nous reste encore inconnu à ce jour. La construction la plus ancienne (pièces A et B), composée d’un long couloir et d’une pièce attenante presque carrée, pourvue d’un foyer de 6 briques encadrées de pierres, est datée de l’époque claudienne surtout par le matériel recueilli dans quatre dépotoirs creusés à l’extérieur de la construction. Les murs, pour la plupart, ne sont conservés qu’au niveau des fondations. Les quelques parements préservés au-dessus du niveau de sol sont en petits moellons réguliers et bien appareillés. Accolée à la première construction et à un niveau supérieur à celui des dépotoirs, la seconde construction (pièces C et D), formée de deux pièces parallèles, dont la première contenait un foyer, est datée de la seconde moitié du IIe siècle. Les parements, mieux conservés que pour la construction précédente, témoignent d’une construction hâtive et sans soin : l’appareillage est plus grossier, très irrégulier et certains joints ne sont même pas croisés (Pétrequin, Odouze 1968, p. 255-266).

 

4.3. Nécropole

Aucune nécropole antique n’a été découverte en marge de l’habitat jusqu’alors.

 

4.4. Etendue supposée et remarques

Il est impossible dans l’état actuel des données de préciser l’étendue réelle de l’habitat repéré au Moulin-Rouge.

 

 

5. Nature et caractérisation de l’occupation

 

La caractérisation de l’occupation reste impossible à préciser faute de données plus conséquentes. Julien Feuvrier placerait toutefois un atelier de potier dans ce petit groupement grâce à la découverte de poterie en grande quantité ainsi que d’argile à proximité (UD n° 4 ; Charlier 1990, p. 76 ; 1991, p. 34).

 

 

6. Chronologie et critères de datation

 

En l’absence de fouilles récentes ou même de prospections pédestres plus importantes, la chronologie d’occupation de ce petit groupement d’habitats reste difficile à estimer. Seuls les indices issus de la fouille de 1967 peuvent nous aider à avancer sur ce point. L’habitat antique repéré au Moulin-Rouge s’implante en lieu et place d’une enceinte néolithique, également occupée au début de l’Age du Bronze. Si ce n’est le plan de l’ensemble du site, nous ne possédons aucune autre information concernant ces périodes.

 

6.1. Haut-Empire

L’habitat composant ce petit groupement de bord de voie semble voir le jour dès le début du Haut-Empire, sans doute peu de temps après l’installation de la voie d’Agrippa qui la traverse du nord-ouest au sud-est. D’ailleurs, la voie romaine perce les remparts est et ouest de l’enceinte néolithique. Parmi le mobilier collecté et étudié, nous retrouvons celui recueilli lors de la fouille de l’habitat antique en 1967. Les constructions ont visiblement été édifiées en deux phases. La première phase, d’époque claudienne, est attestée par : 1 monnaie de Tibère et 1 d’Antonia ; une fibule ronde en bronze argenté, décoré au centre d’une perle rouge ; un couvercle de boîte en bronze, un clou à tête en cabochon et de nombreux tessons de céramique sigillée de l’époque claudienne (Ritterling 11a, Ritterling 2, Drag. 24-25, Ritterling 8, Drag. 29, Drag. 30, Ritterling 12) ainsi que des fragments de céramique plombifère décorée à la barbotine, de cruches et de céramiques gallo-belges. La seconde phase de construction est, elle, datée du IIe siècle. Le mobilier collecté reste toutefois pauvre : quelques outils en fer (burin, ciseau, couteau) et quelques fragments de céramique du IIe siècle (céramique métallescente avec incision et deux fragments de bols Drag. 37).

 

6.2. Bas-Empire

En ce qui concerne la seule construction fouillée, la datation ne dépasse pas le IIIe siècle. Il existe toutefois des traces d’occupation postérieure grâce à la découverte d’un trésor monétaire en 1853 lors des travaux de mise en place de la ligne de chemin de fer de Dole à Besançon. Celui-ci est composé « des ustensiles de cuisine mêlés à plusieurs monnaies impériales » (Rousset 1853-1858, p. 408). Parmi les monnaies, nous retrouvons un important lot de Domitien, d’Aelius, d’Antonin le Pieux, de Gallien, de Claude II et de Quintille (Pétrequin, Odouze 1968, p. 255).

 

 

7. Synthèse sur la dynamique d’occupation

 

Il est difficile de dire dans l’état actuel des recherches si l’habitat repéré au Moulin-Rouge sur la commune de Lavans-lès-Dole fait partie d’une petite agglomération de bordure de voie. Situé à 3,5 km de celle de Rochefort-sur-Nénon/Crusinia, l’habitat de Lavans se trouve à un petit passage à gué sur la rivière de l’Arne de la voie d’Agrippa Besançon/Châlon-sur-Saône. L’habitat se développe alors à l’emplacement d’une enceinte d’époque néolithique et de l’Age du Bronze. Le manque de recherche et l’inexactitude de la localisation des découvertes du XIXe siècle rendent difficile d’estimer la superficie de ce petit habitat de bordure de voie. Celui-ci est toutefois occupé durant tout le Haut-Empire, du Ier au IIIe siècle de notre ère. La nature précise de l’occupation reste également inconnue à ce jour. J. Feuvrier y place un atelier de potier, mais les indices de cette présence sont faibles. Ce groupement modeste, si son existence est réellement attestée, pourrait prouver que les petites agglomérations de bordure de voie peuvent être plus nombreuses que ce que nous laisse penser la carte actuelle de la répartition des agglomérations antiques sur ce tronçon de la voie d’Agrippa.

 

 

8. Perspectives de recherche

 

Nous possédons à l’heure actuelle très peu d’information sur cette hypothétique petite agglomération routière. Malgré une situation géographique complexe (RN 73, forêt…), il serait intéressant de mener de nouvelles recherches au sol, dans un premier temps, afin de préciser l’extension réelle des vestiges. À cette occasion, nous pourrions également compléter nos connaissances sur le camp néolithique.

 

 

9. Bibliographie

 

Castan 1857 : CASTAN (A.) – Notice sur Crusinia, station militaire de la voie romaine de Châlon-sur-Saône à Besançon, et sur la découverte du champ funèbre qui lui servait de cimetière, Mémoires de la Société d’Emulation du Doubs, 3ème série, 2, 1857, p. 316-339.

 

Charlier 1990 : CHARLIER (F.) – Recherches sur les ateliers de production céramique en Franche-Comté et dans le centre-est des Gaules : inventaire des ateliers de la Franche-Comté romaine, Mémoire de Maîtrise, Université de Franche-Comté, Besançon 1990, 2 vol., 207 et 128 p.

 

Charlier 1991 : CHARLIER (F.) – Les ateliers céramiques antiques en Franche-Comté, Rapport de prospection thématique, SRA Franche-Comté, Besançon 1991, 76 p.

 

Feuvrier, Brune 1920 : FEUVRIER (J.), BRUNE (P.) – Les voies romaines de la région de Dole, Bulletin Archéologique du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, t. 38, 1920, p. 105-154.

 

Marquiset 1841-1842 : MARQUISET (A.) – Statistique historique de l’arrondissement de Dole, Charles Deis, Besançon, 1841-1842, 2 vol. (vol. 1, 1841, 518 p. ; vol. 2, 1842, 532 p.).

 

Pétrequin, Odouze 1968 : PETREQUIN (P.), ODOUZE (J.-L.) – Habitat romain à Moulin-Rouge, commune de Lavans-lès-Dole (Jura), Revue Archéologique de l’Est, 19, 1968, p. 255-266.

 

Rothé 2001 : ROTHE (M.-P.) – Lavans-lès-Dole, Carte Archéologique de la Gaule : Le Jura 39, Académie des Inscriptions et des Belles Lettres, Paris, 2001, p. 441-445.

 

Rousset 1853-1858 : ROUSSET (A.) – Dictionnaire géographique, historique et statistique des communes de Franche-Comté et des hameaux qui en dépendent classés par département ; département du Jura, Bintot impr., Besançon, 1853-1858, 6 vol.

Loïc Gaëtan

Illustrations Lavans les Dole