1. Localisation et emprise connue de l’occupation
Pompierre-sur-le-Doubs et Rang sont deux communes limitrophes dont la localisation coïncide avec le cœur du territoire séquane. Elles sont traversées par la voie du Rhin qui franchit le cours du Doubs par des passages à gué. L’axe routier dessert Besançon, distant d’un peu plus de 45 km et, dans la direction opposée, Mandeure-Mathey situé à environ 30 km.
Les deux sites ont été fréquentés dès la Préhistoire, avec une présence notable au niveau de la côte de la Malatière. La protohistoire est également représentée de manière diffuse, notamment par l’intermédiaire de systèmes d’enclos, quadrangulaires et circulaires, repérés en photographie aérienne au lieu-dit de l’Autre Côté du Canal à Pompierre (Augé 1994 : 67-70). Ces anomalies apparaissent également dans les données Lidar de l’IGN. En ce qui concerne la période antique, un certain nombre de constructions paraissent s’implanter en bord de voie, tant au niveau du gué de Rang qu’un peu plus à l’ouest, le long du tronçon qui se dirige vers Pompierre. D’autres occupations apparaissent un peu en retrait par rapport aux méandres du Doubs. En revanche, aucun indice qui permettrait l’identification d’un site du haut Moyen Âge n’a encore été révélé.
2. Cadre naturel
2.1. Topographie, Géologie
Vers l’ouest, Pompierre est situé à la confluence du canal du Rhône au Rhin et de la rivière la Soye. Ce petit cours d’eau a creusé une vallée étroite qui serpente à travers un plateau dont l’altitude moyenne est de 350 m et qui domine les larges méandres du Doubs ainsi que la zone de confluence où est installé le bourg moderne, à une altitude d’environ 280 m. En tournant le regard vers l’est, Rang se révèle sur la rive opposée du Doubs, au pied d’un plateau qui culmine à un peu plus de 500 m d’altitude à l’extrémité sud du territoire communal.
Le fond de vallée alluviale est caractérisé par des alluvions fluviatiles actuelles et récentes, même si on remarque toujours la présence d’alluvions anciennes sur le pied sud du plateau au niveau de Pompierre. Il s’agit ensuite de plateaux calcaires à faciès argovien et séquanien surmontés ponctuellement d’alluvions siliceuses.
2.2. Hydrographie
Le Doubs se déroule à cet endroit en deux larges méandres et est aménagé via un segment du canal du Rhône au Rhin placé en aval de Pompierre. Sur les rives, on constate une alternance de bords de plateau relativement escarpés et d’espaces à la topographie douce facilement inondables.
3. Etat de connaissances
3.1. Sources
Les premières mentions de découvertes apparaissent dans les publications de synthèse de référence du XIXe siècle, notamment les travaux d’E. Clerc sur la Franche-Comté publiés en 1847 (Clerc 1847 : 110) et ceux de J. Gauthier, focalisés sur le Doubs et parus en 1883-1884 (Gauthier 1883 : 85). Ces bribes d’information seront ensuite partiellement recoupées par les campagnes de prospection aériennes et pédestres engagées dès la fin des années 70 et qui vont se poursuivre à un rythme soutenu jusqu’à nos jours (Augé et Jacqmart 1983 ; Petit 1986 ; Paquier 1987 ; Marmier 1986-2002 ; Mottaz 1998, 1999, 2001, 2002-2005, 2013 ; Guillot 1999, 2000, 2002, 2005 ; Causeret 2003 et 2013)
3.2. Historique des recherches
L’intensité des prospections permet d’avoir une vision relativement complète de l’occupation dans la zone mais cela au détriment d’une compréhension fine des vestiges, qui permettrait d’évaluer les dynamiques de peuplement. Dans ce contexte, l’unique opération archéologique répertoriée à ce jour consiste en un sondage négatif réalisé sur le lieu d’implantation d’une borne routière, sans doute antique, mais réemployée hors contexte à l’époque moderne (Daval 2014).
4. Organisation spatiale
4.1. Voirie
Le tracé de la voie du Rhin dans ce secteur est assez bien connu. Il est mentionné de façon précoce dans les publications de E. Clerc et J. Gauthier (Clerc 1847 : 110 ; Gauthier 1883 : 85). Ces informations ont été recoupées au niveau de Pompierre lors des prospections au sol de Y. Jeannin et J.-P. Urlacher en 1976, qui ont pu suivre la levée de terre en direction d’un premier passage à gué sur le Doubs (« fiches Jeannin » pour mai 1976) [UD 1P]. La voie se poursuit en direction de Rang, où elle est visible au travers de deux courts tronçons d’une quinzaine de mètres repérés par J.-C. Mottaz en 1998-1999 (Mottaz 1998 et 1999 : 45), avant de s’engager sur un passage à gué où l’on a retrouvé une monnaie de Constantin II [UD 1R]. Quant à la borne routière présentée dans le paragraphe précédent, en l’absence de contexte et d’étude détaillée de l’objet, elle n’offre pas d’informations complémentaires exploitables [UD 5P].
4.2. Le bâti
La documentation du XIXe siècle signale quelques constructions a priori antiques. Pour J. Gauthier, il y aurait des ruines adjacentes au tronçon de voie de Pompierre mais elles n’ont pas été retrouvées au cours des prospections (Gauthier 1883 : 85) [UD 8P]. D’autres ruines sont mentionnées au Bois de Ruenans [UD 4P] et coïncident sans doute avec les résultats de prospection dans la zone par J.-C. Mottaz (Mottaz 2002-2005 et 2013) : concentration de tuiles et un peu de matériel antique. De la même manière, les ruines signalées à proximité d’un point d’eau au lieu-dit la Grattery par J. Gauthier auraient été retrouvées par P. Guillot en 1999 (Guillot 1999 : 27) [UD 6P]. Du reste, les résultats des prospections permettent d’envisager la présence d’autres occupations révélées par des indices similaires sur le plateau de Pompierre : Aux Combottes (Causeret 2003) [UD 2P] et aux Combes de Fontaines (Mottaz 2001) [UD 3P].
Dans le secteur de Rang, une construction paraît établie directement au sud de la voie avant le passage à gué (Mottaz 1998 : 59-68) [UD 2R].
4.3. Nécropole
On peut envisager la présence d’un espace funéraire aux Grands Essarts [UD 3R] à Rang mais les informations sont peu exploitables (face à cette incertitude, nous avons fait le choix de caractériser ce site comme indéterminé dans les cartes). Lors des prospections de 1986, B. Petit signale une concentration de matériel antique (céramique, monnaie, clous) et indique, en complément, la découverte de sépultures lors de travaux réalisés en 1960 à une dizaine de mètres (Petit 1986). Malheureusement, nous n’avons pas de détails sur la nature de ces sépultures.
4.4. Etendue supposée et remarques
Il semblerait que nous soyons confrontés à deux types d’occupations. D’une part des sites de plateau placés en retrait par rapport à la voie qu’on peut interpréter comme des habitats dispersés. D’autre part, un nombre indéterminé de constructions adjacentes à la voirie sur les deux communes. Dans le secteur de Rang, autant qu’on puisse en juger, il s’agirait d’une construction isolée implantée au niveau d’un lieu de franchissement. Restent alors les aménagements signalés par J. Gauthier et qui côtoient le tronçon de voie révélé à Pompierre. Nos informations sont trop lacunaires pour proposer une interprétation mais il s’agit de l’endroit le plus pertinent pour investiguer la présence d’un habitat groupé.
5. Nature de l’occupation et pertinence des éléments de caractérisation
5.1. Artisanat
Nous ne disposons d’aucune information relative à la présence d’activités artisanales.
5.2. Habitat domestique
À défaut d’une fonction plus précise, le matériel relativement ordinaire et pauvre livré par les occupations du plateau incite à les interpréter comme des habitats dispersés : 12 monnaies, une boite à sceller en bronze, une fibule et peu de céramique (sigillée et terra nigra) aux Combottes (Causeret 2003); clous, monnaies, clochette et céramique commune aux Combes de Fontaines (Mottaz 2001); quelques monnaies et de la céramique commune au Bois de Ruenans (Mottaz 2002-2005 et 2013).
La construction implantée au-devant du passage à gué de Rang peut être envisagée comme une mansio ou mutatio mais elle a livré peu de mobilier : quelques rares fragments de céramique et un récipient en bronze (bassin à vin ?) avec sa cuve, son couvercle et un élément filtrant (Mottaz 1998 : 59-68).
Enfin, des ruines décrites par J. Gauthier au bord de la voie de Pompierre, nous savons uniquement qu’elles ont livré de nombreuses monnaies (Gauthier 1883 : 85).
5.3. Vie religieuse
Nous ne disposons d’aucune information relative à la présence d’activités religieuses.
5.4. Installations publiques
Nous ne disposons d’aucune information relative à la présence d’installations publiques.
6. Chronologie et critères de datation
6.1. La Tène
L’unique découverte qu’on peut rattacher avec certitude à la fin de La Tène correspond à une petite « bourse » contenant quatre monnaies gauloises (un potin à grosse tête et trois deniers kaletedoy) retrouvée à moins d’un kilomètre au nord-est de l’espace funéraire d’époque indéterminée (Guillot 2005 : 10) [UD 7R]. P. Guillot signale à juste titre que cette crête est un lieu de passage fréquenté de façon précoce et qui permet de traverser Rang en évitant des zones à la topographie moins accessible. Ce constat nous renforce dans l’idée que les découvertes réalisées aux Grands Essarts ne sont pas anodines et mériteraient d’être approfondies.
6.2. Haut-Empire et Bas-Empire
- Gauthier précise que le tronçon de voie de Pompierre et les ruines adjacentes ont livré une quantité importante de monnaies du Haut-Empire. Par extension, celles retrouvées aux Combottes pourraient dater du Ier siècle, tout comme les trois provenant du Bois de Ruenans qui sont à l’effigie des empereurs Titus, Trajan et Nerva. En revanche, l’assemblage extrait du site des Combes de Fontaines, composé de monnaies des Sévères, est plus tardif. Signalons de nouveau une monnaie de Constantin II qui provient de la voie prospectée à Rang.
Les prospections menées aux Grands Essarts (Petit 1986 ; Guillot 2000 : 58) ont livré une monnaie de Domitien mêlée à des clous et de la céramique commune. Non loin de là, une seconde « bourse » contenait une dizaine de monnaies du IIIe siècle (1 Gallien, 1 Claude II et 11 Tétricus). Du matériel résiduel provient du secteur de la Malatière : bouterolle de fourreau de glaive (Guillot 2002) et au moins une monnaie antique (Marmier 1986-2002).
6.3. Haut Moyen Age
Nous ne disposons d’aucune information relative à la présence de vestiges du haut Moyen Âge.
7. Synthèse sur la dynamique d’occupation
Les indices archéologiques laissent présager d’une zone fréquentée dès la Préhistoire alors que l’intensité de la présence humaine dans cette zone pour la Protohistoire nous échappe très largement. Les informations les plus tangibles concernent la période antique avec l’établissement concomitant de la voie en fond de vallée, dès le début de la période gallo-romaine, et d’un certain nombre d’occupations adjacentes à cet aménagement ou sur les plateaux. La présence d’un habitat groupé en bordure du tronçon de voie de Pompierre est envisageable mais nécessite d’être vérifié. Les marqueurs chronologiques ne sont pas assez fins pour qu’on puisse évaluer la dynamique du peuplement au cours de l’Antiquité. Un sentiment renforcé par l’absence d’indices significatifs pour le haut Moyen Âge qui permettraient d’évaluer la persistance ou le déplacement des pôles de peuplement du secteur.
8. Perspectives de recherche
Le territoire de ces deux communes a été déjà largement prospecté comme nous l’avons vu. Une action ciblée qui permettrait de vérifier les indications de J. Gauthier à propos des ruines adjacentes à la voie serait souhaitable mais difficile à mettre en œuvre. Les champs sont certes pour l’essentiel en pâture mais le substrat pourrait se révéler réfractaire à des opérations géophysiques à cause du volume d’alluvions récentes accumulées. Malheureusement, les enregistrements des opérations de forage de la BRGM à cet endroit sont indigents et ne permettent pas d’évaluer sereinement l’épaisseur du substrat. En outre, l’imprécision des descriptions anciennes ne permet pas de focaliser l’intervention sur un point précis.
L’occupation soupçonnée aux Grands Essarts mériterait également d’être précisée comme nous l’avons déjà suggéré. Le site est localisé à proximité d’une exploitation agricole où alternent espaces cultivés et prés.
9. Bibliographie
– Augé P. et Jacqmart H., 1994 : La photographie aérienne dans le nord de la Franche-Comté, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 76 p.
– Augé P., 1994 : La photographie aérienne dans le nord de la Franche-Comté : rapport 1994, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 79 p.
– Causeret D., 2003 : Rapport de prospection année 2003, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, np.
– Causeret D., 2013 : Rapport de prospection année 2013, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, np.
– Clerc E., 1847 : La Franche-Comté à l’époque romaine représentées par ses ruines, Besançon, Ed. Bintot, 167 p.
– Daval D., 2014 : Sondage à Pompierre-sur-le-Doubs. Recherche de niveaux archéologiques sur un côté de borne milliaire, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, np.
– Gauthier J., 1883: « Répertoire archéologique du département du Doubs, arrondissement de Baume, canton de Clerval », Annuaire Doubs pour 1883, Besançon, p. 79-88.
– Gauthier J., 1884: « Répertoire archéologique du département du Doubs (suite), arrondissement de Baume, canton de l’Isle-sur-le-Doubs », Annuaire Doubs pour 1884, Besançon, p. 66-80
– Guillot P., 1999 : Rapport de prospection sur les cantons de Baume-les-Dames, Clerval, L’Isle-sur-le-Doubs, Montbéliard, Pont-de-Roide, Rougement (Doubs), Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, np.
– Guillot P., 2000 : Rapport de prospection sur les cantons de Baume-les-Dames, Clerval, L’Isle-sur-le-Doubs, Montbéliard, Pont-de-Roide, Rougement (Doubs), Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, np.
– Guillot P., 2002 : Rapport de prospection sur les cantons de Baume-les-Dames, Clerval, L’Isle-sur-le-Doubs, Montbéliard, Pont-de-Roide, Rougement (25), Echenoz-la-Meline, Purgerot (70), Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 102 p.
– Guillot P., 2005 : Rapport de prospection sur les cantons de Clerval, L’Isle-sur-le-Doubs, Rougement (25), Salins, Pretin (39), Cravanche, Essert (90), Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 68 p.
– Marmier M.-T., 1985-2002 : Rapport de prospection pédestre dans les chaumes et les labours. Années 1986-2002, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 70 p.
– Mottaz J.-C., 1998 : Prospection au sol sur les cantons de Baume-les-Dames, Clerval, L’Isle-sur-le-Doubs, Marchaux, Montbéliard, Rougemont et Roulans (Doubs), Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 130 p.
– Mottaz J.-C., 1999 : Prospection au sol sur les cantons de Baume-les-Dames, Besançon-Est, Clerval, L’Isle-sur-le-Doubs, Marchaux, Montbéliard-Ouest, Pont-de-Roide, Quingey, Rougemont et Valentigney (Doubs), Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 130 p.
– Mottaz J.-C., 2001 : Prospection au sol, exercice 2000-2001, Cantons de Baume-les-Dames, Besançon-sud, Clerval, L’Isle-sur-le-Doubs et Rougemont, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 145 p.
– Mottaz J.-C., 2005 : Prospection au sol, exercice 2002-2005, Cantons de Baume-les-Dames, Besançon-est, Clerval, L’Isle-sur-le-Doubs, Marchaux, Rougemont, Roulans et Villersexel, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 145 p.
– Mottaz J.-C., 2013 : Compte-rendu d’activités archéologiques, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 85 p.
– Paquier M., 1987 : Eau, routes et implantation humaine dans l’Antiquité : l’exemple de la moyenne vallée du Doubs, entre Besançon et Mandeure, Mémoire de D.E.A., Besançon, Université de Franche-Comté (Institut d’Archéologie), 266 p.
– Petit B., 1986 : Rapport descriptif d’objets découverts à Rang-les-Isles, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, np.
Damien Vurpillot