Cussey-sur-l’Ognon (Doubs) et Etuz (Haute-Saône)

1. Localisation et emprise connue de l’occupation

 

Cussey-sur-l’Ognon et Etuz sont deux communes limitrophes situées à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Besançon, au cœur du territoire séquane. Une localisation qui implique une relative proximité avec les deux axes majeurs qui se croisent au sud-ouest : un segment de la voie du Rhin jusqu’à Besançon et la voie de Besançon à Langres. Ce secteur est relativement mal documenté par l’archéologie, en particulier « l’axe du vide » qui s’étend au nord d’Etuz selon un transect ouest – nord-est. On connait un certain nombre d’établissements ruraux qui peuplent la vallée de l’Ognon, quelques rares lieux de culte mais aucun habitat groupé clairement caractérisé.

À l’échelle communale, on constate une fréquentation préhistorique, peut-être dès le paléolithique, et quelques indices d’occupation néolithique. La protohistoire est représentée sur le territoire de Cussey par les vestiges d’un tumulus de l’âge du Bronze identifié en prospection pédestre (Daval 1999) et quelques enclos circulaires repérés en prospection aérienne à moins d’un kilomètre de là (Augé 1992). Les témoins de l’occupation gallo-romaine sont diffus et s’échelonnent pour la plupart le long d’un système de voies secondaires qui comprend une zone de franchissement de l’Ognon. Enfin, l’occupation alto-médiévale paraît plus ramassée mais cette image est sans doute trompeuse et est la conséquence de l’état de la recherche dans ce secteur.

 

2. Cadre naturel

 

2.1. Topographie, Géologie

 

La topographie du lieu est dictée par le passage de l’Ognon qui sépare les deux communes. Cussey, au sud, se développe sur les pentes d’un petit promontoire qui domine un repli de la rivière alors qu’Etuz, au nord, s’insère dans une zone de confluence de deux ruisseaux bordée de modestes collines. L’altitude de cette portion de territoire oscille entre 204 m et 267 m.

Le fond de la vallée alluvial est caractérisé par des alluvions récentes sur la rive nord, puis par des alluvions anciennes et des calcaires fins. On retrouve des alluvions anciennes sur la rive sud, surplombées par des terrains argileux sur un substrat calcaire plus compact.

 

2.2. Hydrographie

 

Le cours de l’Ognon a sensiblement évolué depuis l’Antiquité, à la fois pour des raisons naturelles et à la suite d’aménagements hydrauliques, notamment un système de barrage implanté en amont du pont moderne. On perçoit d’ailleurs nettement le cheminement des anciens méandres dans les champs localisés à l’ouest de Cussey. La présence d’un passage à gué n’est sans doute pas étrangère à la fréquentation précoce du secteur.

Enfin, les prédispositions hydrogéologiques qui lient la source de la Vauvenise et la source du Su, au centre d’Etuz, ont pu conditionner l’aménagement d’ouvrages hydrauliques antiques.

 

 

3. Etat de connaissances

 

3.1. Sources

 

Nous ne disposons pas de sources documentaires antérieures au XIXe siècle. Pour l’essentiel, il s’agit de rappels dans les synthèses de référence de l’époque (Clerc 1847, Dieu 1858, Longchamp 1860 et Matty de Latour 1865) qui recoupent avec plus ou moins de précision des mentions ponctuelles dans les revues locales (MSED 1878, Chatelet 1882). La nécropole alto-médiévale de Cussey, fouillée en 1872 par J. Gauthier, s’avère être la plus importante découverte et bénéficie donc d’une description détaillée (Gauthier 1873).

 

3.2. Historique des recherches

 

Les deux centres d’intérêt majeurs des recherches anciennes concernent la voierie antique et la nécropole alto-médiévale. Les autres sites sont mentionnés brièvement et n’ont pas donné lieu à des investigations plus approfondies. Il faut ensuite attendre les campagnes de prospection engagées par D. Daval à la fin des années 80 et au début des années 1990 pour obtenir de nouvelles informations sur l’occupation du territoire (Daval 1993, 1995 et 1999). Elles sont complétées à la même période par les résultats de plusieurs campagnes de prospection aérienne (Augé 1992 et Goguey 1995). L’unique fouille récente correspond à un diagnostic réalisé par D. Billoin en 2002 à proximité de la nécropole mentionnée précédemment (Billoin 2002).

 

4. Organisation spatiale

 

4.1. Voirie

 

La présence d’un axe secondaire entre Besançon et Langres est perceptible au travers de plusieurs segments de voie évoqués dans les sources anciennes mais rarement localisés avec précision. Sur le territoire de Cussey, l’abbé Chatelet indique que la chaussée provient du territoire de Geneuille et se poursuit sur le territoire de Cussey selon un tracé similaire à ce qui apparait encore sur la carte de Cassini [UD 8C] (Chatelet 1882 : 61). Ensuite, la voie passe au niveau du cimetière [UD 2C] et aboutie à un passage à gué sur l’Ognon qui coïncide avec le barrage moderne [UD 1C]. N.G. Matty de Latour confirme que le lit de la rivière s’est considérablement élargi à cet endroit du fait des aménagements hydrauliques (De Latour 1865). Contrairement à ce qu’affirme E. Clerc (les débris vus par Dom Berthod sont ceux du « vieux château »), le franchissement n’était pas assuré par un pont (Clerc 1847 : 120) mais on distingue encore le pavé au niveau du passage à gué. La situation est plus évidente sur le territoire d’Etuz où la voie se confond avec l’axe principal du village, puis évite une zone marécageuse de l’Ognon en gagnant rapidement une colline au sud-est avant d’obliquer vers l’ouest.

N.G. Matty de Latour a pratiqué plusieurs sondages après la traversée du bourg et la voie était encore très bien conservée à la fin du XIXe siècle. Ce constat est confirmé par la découverte en 1872 d’une portion de la voie antique au niveau de la combe Duche (ou d’Ouche) [UD 2E] (MSED 1878 : III).

 

4.2. Le bâti

 

Les constructions antiques ne se révèlent qu’au travers des prospections. Il s’agit d’habitats dispersés plus ou moins importants. On a pu en identifier trois à Cussey [UD 5, 6 et 7C] et au moins un à Etuz [UD 3E] (Daval 1993, 1995 et 1999). Dans ce groupe, le site de Montantin à Cussey se démarque par un statut a priori plus important. Il est connu depuis au moins le XIXe siècle comme la villa de Montantin (MSED 1878 : III) et a été prospecté de nouveau en 1999 (nous avions perdu sa trace suite à une transcription fautive en Montautin) [UD 6C]. L’établissement, installé à quelques centaines de mètres du village, domine la vallée de l’Ognon. Le Chatelard, site qui lui aussi surplombe le cours de l’Ognon, est souvent décrit comme un castellum antique [UD 9C]. Les prospections effectuées par l’abbé Chatelet permettent plutôt d’envisager une place forte médiévale avec « un profond fossé et des murailles » (Chatelet 1882 : 61) qui succède à une présence antique, voire protohistorique, difficile à caractériser.

En sortant d’Etuz, non loin de la voie, les prospections aériennes ont mis en évidence un grand enclos avec au moins un aménagement intérieur [UD 4E]. Il s’agit peut-être d’un lieu de culte (Goguey 1992). Nous devons enfin signaler un dernier indice, moins évident à contextualiser. L’Atlas Dieu fait figurer un canal en ruine, a priori antique, qui traverserait Etuz sur près de 300 m [UD 1E] (Dieu 1858). Cette installation concorde avec le réseau hydrogéologique local, où un système de galeries naturelles met en relation plusieurs résurgences (source de la Vauvenise et la source du Su) d’après les analyses réalisées par la BRGM. Le pendage du terrain à cet endroit est favorable à un afflux d’eau vers le sud, en direction de la motte castrale établie non loin de là. Est-ce qu’elle succèderait à des aménagements antérieurs ?

 

Les installations alto-médiévales sont plus tangibles. En effet, en 2002, D. Billoin a dégagé une occupation caractérisée par des structures en creux : fosses et trous de poteaux, parfois munis de calage [UD 4C] (Billoin 2002). La présence d’une quantité non négligeable de « blocaille exogène » suggère également la présence d’aménagements de sol aujourd’hui détruits. Les vestiges sont beaucoup plus denses dans la partie orientale du diagnostic et une rapide prospection au sol confirme que l’habitat se développe surtout sur les parcelles adjacentes et sans doute en relation avec la nécropole située à proximité. Enfin, un système de fossés, implantés en périphérie immédiate de l’habitat, reste difficile à caractériser, tant en termes de fonction que de chronologie.

 

4.3. Nécropole

 

Une cinquantaine de mètres sépare le diagnostic du cimetière, où des travaux ont révélé en 1852 la présence d’une nécropole du haut Moyen Âge [UD 3C] (Gauthier 1873). Les premiers sarcophages et leur contenu ont été extraits sans ménagement, alors que déjà en 1847 E. Clerc indiquait la présence de sarcophages au bord de la voie antique (Clerc 1847 : 120). Dans ce contexte, J. Gauthier n’a bénéficié que de trois jours en 1872 pour fouiller une extrémité de la nécropole après s’être vu refuser l’accès au cœur des vestiges. Il n’a pu étudier que trois sépultures parmi plus d’une dizaine révélées et bénéficiant toutes d’une orientation similaire.

 

4.4. Etendue supposée et remarques

 

En l’état des connaissances, nous serions face à un système d’habitats dispersés à l’époque gallo-romaine. Nous nous plaçons dans la poursuite du peuplement de la vallée de l’Ognon, alors qu’on s’éloigne progressivement de l’axe principal de Besançon à Langres. La présence d’un axe secondaire et d’une zone de franchissement va de pair avec une certaine attractivité sans que cela paraisse justifier la présence d’un habitat groupé. La situation topographique de Cussey et des collines qui encadrent Etuz ne se révèle pas désavantageuse pour l’implantation d’établissements ruraux. En revanche, le secteur d’Etuz, en retrait d’une zone marécageuse, est certainement moins attractif de ce point de vue mais offre en contrepartie un fort potentiel pour le contrôle du territoire avec le débouché du pont et la voie. Il est donc légitime de s’interroger sur une potentielle présence antique à cet endroit et ce malgré l’indigence des indices archéologiques connus.

 

On constate ensuite une restructuration de l’occupation, perceptible dès le haut Moyen Âge. Les vestiges se concentrent alors au bord de la voie, à quelques centaines de mètres au nord du point de franchissement sur l’Ognon. La découverte d’une portion d’habitat, certes en limite de l’occupation pressentie et mal dotée en matériel, est suffisamment rare pour être signalée. La présence d’une nécropole à proximité immédiate fait penser à la situation présentée dans la notice de Pontarlier.

 

5. Nature de l’occupation et pertinence des éléments de caractérisation

 

5.1. Artisanat

 

Nous ne disposons d’aucune information pertinente qui permettrait l’identification d’activités artisanales.

 

5.2. Habitat domestique

 

Pour la période gallo-romaine, l’identification d’habitats dispersés repose sur les résultats des prospections pédestres et aériennes. La caractérisation d’un établissement rural à fort statut pour la villa de Montantin semble légitime. Les sources anciennes sont peu loquaces (Chatelet 1882) mais rendent compte de la présence d’enduits peints et d’un système de chauffage. Ces informations sont recoupées par les résultats des prospections récentes où quatre bâtiments ont pu être reconnus, en relation avec une quantité non négligeable de matériel antique (céramique commune et métallescente, sigillée, récipients en verre, tôle de bronze, etc.). Cet habitat est implanté non loin d’un tumulus de l’âge du Bronze qui pourrait s’insérer dans une série plus large d’espaces funéraires protohistoriques (Goguey 1995) installés au bord de l’Ognon. Il n’est malheureusement pas possible de caractériser plus finement les autres habitats dispersés connus.

L’habitat alto-médiéval révélé en 2002 correspond, d’après les structures découvertes, à une succession de constructions en bois sur pieux fichés dans le sol (Billoin 2002 : 8). Le modeste matériel qui accompagne cette découverte (9 fragments et 14 tessons) met en évidence notre connaissance lacunaire du mobilier domestique pour cette période.

 

5.3. Vie religieuse

 

Seul l’enclos repéré en prospection aérienne sur le territoire d’Etuz (Goguey 1992) pourrait témoigner d’une activité religieuse locale mais son interprétation comme lieu de culte reste très incertaine.

 

5.4. Installations publiques

 

Nous ne disposons d’aucune information pertinente qui permettrait l’identification d’installations publiques.

 

6. Chronologie et critères de datation

 

6.1. La Tène

 

Ce secteur n’a livré aucun indice pertinent d’occupation laténienne. L’abbé Chatelet mentionne bien des débris « d’époque gauloise » au Chatelard (Chatelet 1882 : 61) mais sans plus de détails, ni d’arguments.

 

6.2. Haut-Empire et Bas-Empire

 

L’indigence des vestiges archéologiques et du matériel nous oblige à réfléchir en termes de grandes phases culturelles. En l’état actuel de la recherche, aucun des éléments découverts ne permet d’envisager une occupation précoce au Haut-Empire. Les données issues des prospections et citées dans la documentation se rattachent plutôt au Bas-Empire dans une perspective très large.

 

6.3. Haut Moyen Age

 

D’après la description du matériel découvert dans la nécropole (scramasaxes et accessoires vestimentaires) (Gauthier 1873), on peut proposer, à la suite de D. Billoin, une datation qui couvrirait la période VIe – VIIIe siècle. Elle coïncide avec le petit ensemble céramique prélevé dans l’habitat, qui s’étale aussi sur une fourchette chronologique qui couvre l’intervalle VIe – VIIIe siècle (Billoin 2002 : 9).

 

7. Synthèse sur la dynamique d’occupation

 

Nous disposons de trop peu d’éléments pour proposer une réflexion pertinente sur la dynamique d’occupation locale. La protohistoire et le début du Haut-Empire sont presque invisibles dans les données, si ce n’est quelques indices ponctuels qui ne permettent aucune interprétation. Les modalités de l’occupation au Bas-Empire restent floues. Au-delà des quelques habitats dispersés repérés, on peut légitimement s’interroger sur la situation du village actuel d’Etuz pour l’Antiquité. Au Haut Moyen Âge, l’occupation paraît ensuite se ramasser au sommet du petit promontoire où est établi Cussey, avec un habitat groupé et une nécropole installée au bord de la voie antique et qui précèdent le passage à gué.

 

8. Perspectives de recherche

 

Quelques opérations ciblées pourraient sans doute améliorer notre compréhension globale de la situation. Pour la commune de Cussey, les prospections récentes soulignent l’intérêt de recherches complémentaires sur la villa de Montantin, d’autant plus que nous sommes maintenant capables de faire corréler les résultats des prospections avec les découvertes anciennes. Par extension, la description du Chatelard soulève de nombreuses questions sur la nature et la chronologie des aménagements d’un site localisé entre deux grands établissements ruraux. Les vestiges alto-médiévaux sont quant à eux situés principalement au niveau du bourg de Cussey et seules des opérations d’archéologie préventive pourraient apporter de nouveaux indices sur l’organisation et la structure d’un habitat dont a finalement effleuré les marges.

Pour la commune d’Etuz, il est peu probable qu’on acquière des données plus précises vis-à-vis de l’occupation ancienne. En particulier au niveau de la motte castrale, pour laquelle la succession des aménagements, la réexploitation des fossés et l’intensité des activités agricoles ont très largement abimé le site. Enfin, l’enclos situé au nord s’insère dans une zone où a priori les activités agricoles ont largement gommé les vestiges, ce qui pourrait être confirmé par des prospections au sol.

 

9. Bibliographie

 

M.C.Arch.H.-S. = Mémoires de la Commission Archéologique de la Haute-Saône

M.S.E.D. = Mémoires de la Société d’émulation du Doubs

 

Augé P., 1992 : Rapport de prospection aérienne, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, np.

Billoin D., 2002 : Cussey-sur-l’Ognon « Grandes Corvées », DFS Fouille d’évaluation, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 11 p.

Chatelet A., 1882 : « Cussey-sur-l’Ognon, histoire d’un village », Procès-verbaux de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon, Besançon, Imp.  Dodivers et Cie, p. 59-86

Clerc E., 1847 : La Franche-Comté à l’époque romaine représentées par ses ruines, Besançon, Ed. Bintot, 167 p.

Daval D., 1993 : Prospection diachronique au sol de la Moyenne vallée de l’Ognon, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, np.

Daval D., 1995 : Prospection sur la Moyenne vallée de l’Ognon, rapport de prospection, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 104 p.

Daval D., 1999 : Prospections au sol sur la commune de Ruffey-le-Château (25) et sur les communes d’Auxon- Dessous, Bonnay, Burgille, Châtillon-le-Duc, Chaucenne, Cussey-sur-l’Ognon, Geneuille, Moncley, Serre-les-Sapins, Saint-Vit (25), Avrigney (70), rapport de prospection, Besançon, Service régional de l’archéologie de Franche-Comté, 118 p.

Dieu H., 1858 : Atlas cantonal du département de la Haute-Saône dressé sous la direction de M. Dieu, préfet, par les agents-voyers du département, gravé par E.Schieble, Paris, imp. Lemercier, 1858, 29 cartes.

Gauthier J., 1873 : « Note sur le cimetière burgonde de Cussey- sur-l’Ognon », M.S.E.D., Besançon, Société d’émulation du Doubs, p. 522-528 (Série 4, Volume 7)

Longchamp C., 1860 : « Découvertes et observations archéologiques faites dans la Haute-Saône de 1842 à 1860 », M.C.Arch.H.-S., Vesoul, p. 1-54 (t. II, 1ère livraison)

Matty de Latour N.-G., 1865 : Voies romaines. Système de construction et d’entretien, ms., Bibl. Institut de France, 7 vol. (ms. 1992 à 1998)

Société d’Emulation du Doubs, 1878 : M.S.E.D., Besançon, Société d’émulation du Doubs, p. III (Série 5, Volume 2)

Damien Vurpillot

Illustrations Cussey sur l_Ognon