Dampierre-et-Flée (Côte-d’Or)

1. Localisation et emprise connue de l’occupation

 

Le site est installé à l’extrême nord de la commune de Dampierre-et-Flée (Côte-d’Or) à la limite de la commune de Fontenelle, à proximité de la ferme de Bessey. Cette situation géographique a amené les auteurs à donner le nom de Dampierre-Fontenelle à cette agglomération. Aujourd’hui situé en plein milieu des champs et des forêts, il ne semble pas qu’une quelconque tradition ait gardé le souvenir de ce site antique. Située sur le tracé de la voie d’Agrippa reliant Langres à Pontailler, cette petite agglomération antique lingonne est pourtant l’un des plus beaux exemples de relais routier des régions Bourgogne et Franche-Comté. Elle se trouve alors entre le camp militaire de Mirebeau, à 11 km au sud, et le carrefour routier de Vaux-sous-Aubigny avec le relais routier d’Isômes, à 19 km, vers le nord. Les vestiges de l’agglomération, exclusivement repérés par photographies aériennes, se développent du nord au sud sur une longueur de 400 m. Seul le côté occidental du site est alors connu puisque le reste se retrouve aujourd’hui sous une forêt.

 

 

2. Cadre naturel

 

2.1. Topographie, Géologie, Hydrographie

L’agglomération est implantée sur les plateaux calcaires du Dijonnais, à la tête du vallon du ruisseau de Bessey, rejoignant non loin de là la Bèze prenant sa source sur la commune limitrophe. Plusieurs petites sources prennent alors naissance dans le creux de ce petit vallon. Les premiers habitats de l’agglomération se trouvent à une altitude moyenne de 247 m alors que les derniers, au nord, se situent sur un léger sommet à 260 m. Par conséquent, le relais routier pouvait dominer la voie qui la traversait.

 

 

3. Etat des connaissances

 

3.1. Sources

Aucun texte ne fait mention de ce site antique. En ce qui concerne la recherche archéologique, l’agglomération de Dampierre-Fontenelle constitue un très beau cas d’école dans la technique de la prospection aérienne, et ce grâce au substrat argileux situé sur des plateaux calcaires. Les multiples campagnes de photographies aériennes réalisées sur le site depuis 1976 fournissent des clichés de qualité où sont visibles tous les bâtiments de l’agglomération avec le réseau viaire, les espaces de circulation, les pièces des habitations…

 

3.2. Historique des recherches

Le premier à mentionner la présence de vestiges sur cette localité est Maillard de Chambure dans les Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte-d’Or en 1827 avec la découverte « d’un millier de monnaies gauloises » (1828-1829, p. 231). Celui signale également que dans un mémoire manuscrit, R.-E. Gascon affirmait qu’on « trouve à Bessey des habitations gallo-romaines, car on distingue en temps de sécheresse, des lignes de rues, l’emplacement d’un théâtre, d’un cirque, d’un temple et, sur une vaste étendue, de nombreux débris de tuiles, de poteries, de fût de colonnes » au bord de la voie (UI n° 1). Mais le site tomba vite dans l’oubli pour réapparaître dans sa totalité lors de la sécheresse de l’été 1976 sous les objectifs de René Goguey (1976-1977, p. 139). Celui-ci l’identifia immédiatement à un relais routier. La campagne de 1991 fut une des meilleures, qui livra les traces les plus complètes (UI n° 3 et 4). R. Goguey conclut à l’existence d’une « véritable agglomération routière » et non à une simple « station » (Goguey 1990-1992, p. 24-25 ; 1991). Chaque année les vestiges sont plus ou moins visibles, mais la campagne de 2014, réalisée par Stéphane Izri et Pierre Nouvel nous apporte encore de nouvelles précisions, et notamment sur la partie nord de l’agglomération (UI n° 8 ; Nouvel, Izri 2014).

Deux petites prospections pédestres vont être organisées sur le site par E. Fovet en 2003, et par B. Benoît en 2005 pour les besoins d’une prospection-inventaire sur la commune. Ces deux opérations vont nous apporter quelques éléments précisant notamment la fourchette chronologique d’occupation de l’agglomération.

4. Organisation spatiale

 

L’organisation spatiale de l’agglomération antique de Dampierre-Fontenelle est très bien connue grâce aux multiples campagnes de photographies aériennes et un substrat favorable. Le plan dressé nous fournit alors une image de l’agglomération où très peu de traces de remaniements sont visibles.

 

            4.1. Voirie

La seule et unique voie de l’agglomération est constituée par la voie d’Agrippa, traversant le site du nord au sud. D’après les clichés aériens, cette voie mesure environ 8 m de large et a été observée sur 400 de longueur. Il est d’ailleurs intéressant d’observer qu’à l’emplacement de l’agglomération, le chemin reprenant le tracé de la voie antique diverge vers l’est, pour contourner en quelque sorte les vestiges occidentaux du site. Ce dernier retrouve le tracé originel juste au nord. Dans la traversée de l’agglomération, la voie est bordée de caniveaux bien visibles dans la partie méridionale du site. Les constructions sont alignées à une dizaine de mètres en retrait de la chaussée. Dans cet espace des traces claires et étroites relient, par endroits, la voie aux habitats. Quasiment chaque entrée de bâtiments possède son petit espace de circulation empierré permettant notamment l’accès aux chariots. Les mêmes empierrements sont visibles sur le côté oriental de l’agglomération. Une galerie avec son espace de circulation est également très bien visible, longeant l’ensemble des bâtis.

 

            4.2. Le bâti

Les traces de bâti repérées s’étendent sur 430 m de long à l’ouest de la voie romaine, et sur une largeur moyenne de 50 m. Certains indices au sol, dans le bois situé à l’est de la voie, permettent de restituer un alignement symétrique de même ampleur de ce côté. 11 bâtiments distincts peuvent être identifiés dont certains sont séparés par des espaces de 4 à 8 m de largeur, libres de toute construction. D’ailleurs au centre de l’agglomération, un de ces espaces correspond plutôt à une ruelle, ou une venelle. Cet espace permet de délimiter deux parties fonctionnelles de la ville selon J. Bénard (1994, p. 142). Ainsi, chaque bâtiment couvre un espace rectangulaire dont les dimensions varient en largeur de 10 à 20 m environ, et en profondeur de 30 à 45 m, selon la présence de pièces annexes. Le centre de l’agglomération possède une densité de bâti beaucoup plus forte que sur les périphéries, ce qui rend plus difficile d’identifier les îlots. Malgré la diversité de ces dimensions, il ressort de ce plan une impression de régularité. En tout état de cause, les plans sont tous très similaires et possèdent les mêmes caractéristiques. Tous comportent en façade un alignement de petites pièces carrées donnant sur un portique couvert, en arrière desquelles se développent soit des cours, soit des séries complexes de locaux. Certains de ces îlots sont indépendants, d’autres sont accolés. La plupart possèdent néanmoins un petit ambitus les séparant. Il faut également noter la présence de petits bâtiments annexes à l’arrière des constructions.

 

4.3. Nécropole

Aucune nécropole antique n’a été découverte en marge de l’habitat jusqu’alors.

 

4.4. Etendue supposée et remarques

Les limites de l’agglomération antique de Dampierre-Fontenelle semblent aujourd’hui assez bien délimitées, même si sa partie orientale nous manque. Les restitutions symétriques nous permettent toutefois d’estimer la superficie du site à environ 4 hectares.

 

 

5. Nature de l’occupation et pertinence des éléments de caractérisation

 

La caractérisation de l’occupation reste assez difficile dans l’état actuel des choses. Seule l’analyse du plan des structures découvertes en photographie aérienne peut nous aider à avancer sur ce sujet.

 

5.1. Artisanat

Les seules opérations de prospections au sol n’ont pas permis de déterminer si un artisanat spécifique était présent sur l’agglomération. On peut toutefois imaginer qu’un relais routier tel que celui de Dampierre-Fontenelle nécessite une activité liée au voyage et au transport avec notamment la présence de forgeron ou de maréchal ferrant.

 

5.2. Habitat domestique

Dans le cas d’une agglomération routière, l’habitat se trouve en relation directe avec l’artisanat et cohabite dans les mêmes locaux. D’après le plan dressé, J. Bénard voit dans la partie méridionale de l’agglomération un ensemble d’auberges. Les bâtiments présentent, en arrière des pièces de façade, une ou deux cours allongées pourvues ou non d’une galerie sur trois côtés, cours bordées de locaux couverts de forme variable. Ces formes d’ensemble sont plutôt visibles au sud de la petite ruelle perpendiculaire. Au nord de celle-ci, le bâti est plus complexe et amène cet auteur à placer ici des horrea (entrepôt). Les cours intérieures ne sont ainsi plus la règle et à leur place nous retrouvons une juxtaposition de locaux longs et étroits (Bénard et al. 1994, p. 142). Après le ré-examen du plan à la lumière des nouvelles données issues des prospections aériennes récentes, ces hypothèses sont quelque peu mises en doute. La densité du bâti dans cette partie de l’agglomération peut alors amener à donner de mauvaises interprétations.  Il apparaît que les locaux de façade sont toujours présents ici, ainsi que les cours même si elles sont de dimensions plus réduites. Leur partition interne est également plus complexe que pour les locaux méridionaux. Les ambitus ne sont également plus systématiques. De plus, toute la partie nord de l’agglomération possède encore un plan incomplet. Est-ce que cela traduit une réalité ou est-ce un biais de la recherche ? En tout état de cause, le bâti y est beaucoup moins dense que dans le reste du site.

 

            5.3. Vie religieuse

Nous savons très peu de choses sur la vie religieuse de ce petit relais routier. Nous pouvons seulement attester de la présence d’un lieu de culte au sud de l’agglomération de type fanum. Celui-ci reste tout à fait modeste avec 8 m de côté. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce dernier s’installe en lieu et place d’un ancien bâtiment typique de l’agglomération avec cour intérieure et locaux de façade. Il s’agit là des seules traces de remaniements détectées sur les différents clichés.

 

 

6. Chronologie et critères de datation

 

En l’absence de fouilles récentes, seules les données issues des prospections pédestres peuvent nous permettre d’avancer certains arguments quant à la chronologie d’occupation de l’agglomération de Dampierre-Fontenelle. Les données restent toutefois extrêmement succinctes.

 

6.1. La Tène D

Maillard de Chambure signale la découverte au XIXe siècle « d’un millier de monnaies gauloises » sur ce site (1828-1829, p. 231). Ces monnaies ont aujourd’hui disparu et il est impossible de vérifier leur existence. Toutefois, à l’examen du plan de l’agglomération, il paraît difficile d’imaginer une quelconque occupation protohistorique tant le relais est lié à la voie antique.

6.2. Haut-Empire

            Aucun lot de mobilier spécifique n’a été mis au jour sur le site de l’agglomération. Les prospections pédestres réalisées en 2003 par E. Fovet nous permettent cependant d’affirmer que l’agglomération voit le jour au tout début du Ier siècle de notre ère. L’organisation des bâtiments avec locaux de façade et cours arrière est compatible avec une datation du milieu du Ier siècle. Elle est ainsi intimement liée l’installation et à l’utilisation de ce tronçon de la voie d’Agrippa. Cette prospection montre une « densité » certes « moyenne » mais homogène, des pierres et des tegulae sur tout le site, avec les indices d’une création à l’époque augustéenne, un apogée au Ier siècle et une « fréquentation » aux IIe-IIIe siècles.

 

6.3. Bas-Empire

Comme précisé précédemment, le Bas-Empire est très peu représenté à travers les prospections récemment réalisées. Le site doit ainsi peu à peu péricliter dès la fin du IIIe siècle.

 

            6.4. Haut Moyen-Age

La prospection de 2003 a permis de mettre au jour une agrafe à double crochet d’époque mérovingienne. Cela prouve ainsi que la voie est toujours fréquentée durant cette période. La présence de plusieurs sarcophages mérovingiens découverts au XIXe siècle dans le secteur de l’agglomération va également dans ce sens (Fovet 2003, p. 22-24).

 

 

7. Synthèse sur la dynamique d’occupation

 

L’étroite relation entre l’agglomération de Dampierre-Fontenelle et la voie d’Agrippa reliant Pontailler à Langres est indéniable et transparaît clairement à travers l’alignement des bâtiments le long de la voie. Dampierre-Fontenelle est ainsi clairement un relais routier situé entre celui d’Isômes et l’agglomération de Mirebeau. La vie de l’agglomération est par conséquent indissociable de celle de la voie. Ainsi, l’agglomération se développe durant tout le Haut-Empire du début du Ier siècle à la fin du IIIe siècle. Aucune trace d’occupation antérieure n’a pu être mise au jour dans l’état actuel des recherches. Il s’agit alors là d’une petite station routière, certes bien organisée d’un point de vue spatial, d’une superficie d’environ 4 hectares. Même si aucune trace d’artisanat n’a été découverte jusqu’alors, on doit toutefois y retrouver les fonctions vitales d’un relais routier : artisanat du fer lié avant tout à la maréchalerie, l’artisanat de bouche et hôtelier… La présence d’entrepôts de stockage pourrait également faire partie des attributs de la ville. Suite à l’abandon du relais dès la fin du IIIe siècle vraisemblablement, la voie semble toujours fréquentée comme peuvent l’attester la découverte de mobilier mérovingien et la nécropole à sarcophages, au sud de l’agglomération.

 

 

8. Perspectives de recherche

 

Les données spatiales sont en quantité en ce qui concerne le dossier de l’agglomération de Dampierre-Fontenelle, ce qui n’est pas le cas des données chronologiques. Une prospection pédestre serait alors le moyen le plus rapide d’obtenir des informations afin de préciser les modalités de l’évolution du relais routier d’autant plus que nous possédons un plan des précis des structures qui le composent. Il serait ainsi possible de cibler ces opérations. L’objectif serait également d’en savoir davantage sur la nature de l’occupation et notamment sur la présence d’un artisanat spécifique.

 

 

9. Bibliographie

 

Bénard, Mangin, Goguey, Roussel 1994 : BENARD (J.), MANGIN (M.), GOGUEY (R.), ROUSSEL (L.) – Les agglomérations antiques de Côte d’Or, Annales Littéraires de l’Université de Besançon, Paris, 1994, p. 139-142.

 

Benoît 2005 : BENOIT (B.) – Prospection-Inventaire pluri-annuelle 2004-2009. Campagne 2004-2005, SRA Bourgogne, Dijon, 2005, n.p.

 

Fovet 2003 : FOVET (E.) – L’occupation du sol entre Tille et Saône de la protohistoire au Haut Moyen-Age : premier état de la question, Mémoire de maîtrise, Université de Franche-Comté, Besançon, 2003, 2 vol., 151 p. et 94 p.

 

Goguey 1976 : GOGUEY (R.) – Rapport de prospection aérienne, SRA Bourgogne, Dijon, 1976, n.p.

 

Goguey 1976-1977 : GOGUEY (R.) – 1975-1976 : Un bilan exceptionnel à l’actif de l’archéologie aérienne, Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte d’Or, t. 30, 1976-1977, p. 135-136.

 

Goguey 1990-1992 : GOGUEY (R.) – Recherches d’archéologie aérienne en Côte d’Or. Années 1990-1991-1992, Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte d’Or, t. 36, 1990-1992, p. 10-32.

 

Goguey 1991 : GOGUEY (R.) – Rapport de prospection aérienne, SRA Bourgogne, Dijon, 1991, n.p.

 

Goguey, Cordier 2011 : GOGUEY (R.), CORDIER (A.) – Rapport de prospection aérienne, SRA Bourgogne, Dijon, 2011, n.p.

 

Maillard de Chambure 1828-1829 : MAILLARD DE CHAMBURE (C.-H.) – Rapport sur les travaux de la Commission permanente d’antiquités. Antiquités découvertes depuis le 20 novembre 1827 jusqu’au 25 août 1829, Mémoires de l’Académie de Dijon, 1828-1829, p. 229-242.

 

Provost et alii 2009 : PROVOST (M.) – Dampierre-et-Flée, Carte Archéologique de la Gaule : La Côte d’Or 21/2, Académie des Inscriptions et des Belles Lettres, Paris, 2009, p. 218-219.

Loïc Gaëtan

Illustrations Dampierre et Flée