1. Localisation et emprise connue de l’occupation
L’agglomération antique de Beneuvre se trouve à l’est du village actuel, aux lieux-dits En Velay et Le Mont-Aïgu, sur des parcelles aujourd’hui cultivées. Le site est traversé par la Route Départementale n° 959. Durant l’Antiquité, elle est implantée au cœur du territoire lingon et commande un col important, permettant de relier le bassin de la Seine à celui de la Saône ; c’est pourquoi l’agglomération antique se développe au carrefour de deux voies d’origine protohistorique. L’une d’elles, orientée ouest-est, mettant en relation Vertault à Til-Châtel et Mirebeau, elle relie, autrement dit, la vallée de la Seine au Val de Saône. L’autre, nord-sud, est une voie de plateau reliant Alésia à Langres. La voie venant d’Alésia est d’ailleurs encore visible dans le paysage grâce à une haie limitant deux parcelles. Les vestiges de l’agglomération s’étendent principalement du nord au sud, sur une distance d’environ 700 m et s’organise essentiellement en lien avec la voie Alésia-Langres. Elle atteint une superficie d’une vingtaine d’hectares au maximum en comprenant le sanctuaire à l’est.
2. Cadre naturel
2.1. Topographie, Géologie
Située en bordure sud du plateau de Langres, dans la région du Châtillonnais, l’agglomération antique de Beneuvre est implantée à une altitude moyenne de 474 m, en étant surplombée par un petit sommet, Le Mont-Aïgu, d’une altitude de 500 m. Le site est implanté sur des plateaux calcaires oolithiques blancs et des calcaires « comblanchoïdes ».
2.2. Hydrographie
Au pied du Mont-Aïgu, dans le creux d’un vallon, la rivière de l’Ource prend sa source pour ensuite se jeter dans la Seine, à Bar-sur-Seine.
3. Etat des connaissances
3.1. Sources
L’agglomération est exclusivement connue d’après des découvertes archéologiques fortuites, des fouilles anciennes, des photographies aériennes et des prospections géophysiques. L’agglomération est connue par la tradition locale comme ville antique (sous le nom de Velay, qui signifierait « villa » ?), tradition dont les érudits locaux du XIXe siècle se sont souvent fait l’écho. Victor Chapluet en est le premier en écrivant un rapport en 1869 pour la Commission des Antiquités de la Côte d’Or (C.A.C.O.) signalant sur le Mont-Aïgu des traces encore visibles de substructions. Cette tradition sera confirmée par la campagne de fouille de 1872, financée par la Commission de Topographie des Gaules, sous la conduite de R. de Coynard et E.-L. Lory. Jusqu’à maintenant, les principales sources de documentation sur l’agglomération antique proviennent des fouilles 1872 (Coynard, Lory 1870-1873, p. 241-259) ainsi que des multiples campagnes de photographie aérienne réalisées par Goguey et compilées dans Les Agglomérations antiques de Côte d’Or (Bénard et alii. 1994, p. 125-131). Pour terminer, une prospection géophysique réalisée en 2013 sur l’ensemble du site est venue compléter l’ensemble de la documentation (Gaëtan 2013).
3.2. Historique des recherches
Beneuvre fait partie des principaux sites du département de la Côte d’Or grâce à une recherche archéologique qui s’y est développée depuis le XIXe siècle. Les premières découvertes mentionnées à Beneuvre apparaissent entre 1835 et 1868 grâce au cultivateur Bilbaut qui trouve dans son champ « situé à l’extrémité » de la ville antique du mobilier, ainsi que des vestiges interprétés comme étant un aqueduc, un puits et un bassin (Chapluet 1865-1869, p. 260). En août 1868, le Comte de Grancey décide de dégager, à proximité de « la clôture d’une exploitation rurale », des « substructions », du béton avec traces d’enduit peint (Chapluet 1865-1869, p. 256). Dans cette même période, Victor Chapluet commence à s’intéresser au site et va rédiger le premier bilan des découvertes publiées dans Les Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte d’Or (C.A.C.O.) (Chapluet 1865-1869, p. 256-261). Dans le champ Ronot (appartenant au maire), en 1869-1870, la découverte fortuite d’une colonne a permis de fouiller une cave (2,40 x 2,85 m ; prof. 2,30 m), aux murs « réguliers » en pierres du pays. On y accédait alors par un couloir, puis par un escalier de 9 marches en pierre et une porte dont il ne restait que les gonds et les ferrures (Arbaumont 1870-1873, p. X).
Suite à ces nombreuses découvertes, la Commission des Antiquités de la Côte d’Or décide de lancer une campagne de fouille en octobre 1872, en plein cœur supposé de l’agglomération, sous la direction de R. de Coynard et E.-L. Lory. Cette fouille, bien que peu étendue, a révélé quelques substructions permettant d’avancer des informations générales sur l’agglomération. Il existe alors au moins deux états de constructions que l’on distingue à travers l’orientation et les techniques de construction des murs. « Certains sont larges de 0,50 m et constitués de moellons régulièrement taillés en petit appareil ; d’autres ont 0,60 m d’épaisseur et sont constitués de gros moellons parementés ». Aucune trace d’incendie n’a été relevée dans les vestiges excavés, la ville aurait donc été simplement abandonnée. En ce qui concerne les activités artisanales, ces fouilles ont mis en évidence une omniprésence de la métallurgie du fer.
De dernières fouilles sont organisées de décembre 1889 à mai 1890 dans le fossé de la Route Départementale n° 13, à la borne kilométrique 422, non loin des fouilles de M. de Coynard et Lory en 1872. À cette occasion a donc été découvert un conduit d’hypocauste couvert de dalles ainsi que deux salles bétonnées appartenant à un petit ensemble thermal privé certainement (Metman 1889-1895, p. XXII-XXIV).
Après une longue phase sans recherche, le site est réinvesti dans les années 1970 par René Goguey, grâce aux prospections aériennes qui révèlent peu à peu l’étendue et l’organisation interne de l’habitat aggloméré. En 1994, Frédérique et Jacky Bénard dressent le premier bilan de toutes ces recherches sur Beneuvre dans Les agglomérations antiques de Côte d’Or (Bénard et alii. 1994, p. 125).
Depuis 2011, il existe une nouvelle dynamique de recherche autour de l’agglomération grâce à la mise en place du PCR sur les agglomérations antiques de Bourgogne, Franche-Comté et Champagne méridionale. Le dossier documentaire est également complété par de nouvelles photographies aériennes réalisées par Stéphane Izri et Pierre Nouvel (2011). À cette occasion, un nouvel ensemble cultuel est apparu à l’est de l’agglomération antique. Grâce aux moyens engagés par le PCR, il fut possible en septembre/octobre 2013 de procéder à une acquisition géophysique de grande ampleur sur une superficie de 27 hectares. Les objectifs étaient multiples : connaître d’avantage l’organisation spatiale de l’habitat en lui-même, de développer nos connaissances sur la zone cultuelle inédite, de pouvoir circonscrire avec exactitude l’extension de l’agglomération et avoir un meilleur géoréférencement des structures. L’ensemble de ces objectifs fut atteint grâce à des résultats très encourageants (Gaëtan 2013). À la suite de ces résultats, il a également été décidé de procéder à une campagne de prospection pédestre systématique, sur un carroyage au préalable implanté. Englobant à la fois le sanctuaire, la nécropole protohistorique et le quartier d’habitat central de l’agglomération, la prospection a permis de délimiter des concentrations de types de mobilier et des déplacements d’occupation au fil des siècles (Gaëtan 2014).
4. Organisation spatiale
L’organisation spatiale de l’agglomération antique de Beneuvre nous est désormais connue grâce au croisement de deux méthodes de prospection archéologique : les campagnes de photographie aérienne ainsi que la prospection géophysique magnétique. La combinaison de ces deux moyens nous apporte des résultats assez précis quant aux réseaux viaires desservant l’habitat aggloméré, sur les structures bâties, fossoyées ou plus généralement sur l’étendue de l’agglomération.
4.1. Voirie
L’habitat se structure en fonction d’un réseau viaire qui peut être restitué d’après les résultats de la prospection magnétique. Nous retrouvons ainsi un axe nord-sud structurant, correspondant à la voie Langres-Alésia (UD n° 12, 23 et 48). Celle-ci se partage en deux au centre de l’agglomération pour desservir plusieurs quartiers. Une seconde voie d’importance arrive à l’ouest pour rejoindre la voie nord-sud ; il s’agit de la voie venant de Vertault (UD n° 32). Une autre voie d’orientation est-ouest se trouve juste au nord de cette dernière pour desservir un quartier de même orientation (UD n° 22). Le sanctuaire possède, lui, sa propre voie d’accès située au sud-ouest de l’ensemble (UD n° 26). Cette dernière se retrouve parallèle à une dernière voie permettant l’accès à l’agglomération : la voie provenant de Til-Châtel / Mirebeau depuis l’est (UD n° 14). Elle rejoint ensuite la voie Alésia-Langres, vers le sud, tout comme la voie du sanctuaire.
4.2. Le bâti
Plusieurs quartiers d’habitats on put être mis en évidence au cours des multiples recherches. Plusieurs bâtiments se distribuent dans ces quartiers délimités par la trame viaire. Le quartier principal, avec l’habitat le plus dense, se trouve au centre de l’agglomération, divisé en différents îlots. Au sud de ce quartier se trouvent également d’autres bâtiments dont le plan fonctionnel reste difficile à interpréter. Il pourrait s’agir d’un centre public avec peut-être des édifices cultuels (fana ?). L’agglomération possède néanmoins à l’est un sanctuaire périphérique, composé de deux fana circonscrits à l’intérieur d’un péribole.
Les prospections géophysiques de 2013 sont venues compléter le plan déjà établi en 1994 (Mangin et alii.). Afin de ne pas ajouter de confusion entre ces deux plans, le choix a été fait de conserver la numérotation des quartiers et du réseau viaire mise en place par M. Mangin à cette occasion. Quelques ajustements sont toutefois apparus sur certains secteurs dont l’interprétation était erronée. Nous tenons également à préciser que seule la partie sud-ouest de l’agglomération, délimitée par les rues 1 et 2, n’a pu être prospectée en 2013. Les structures obtenues ne proviennent donc que de la prospection aérienne. Les quartiers A, C et D sont donc les moins bien connus pour le moment.
4.2.1. Quartier A (UD n° 16-17)
Le quartier A, situé au centre de l’agglomération antique, n’est peut-être pas un quartier de bâti classique. Au regard du plan, bien qu’incomplet, il pourrait certainement s’agir d’un centre public avec au moins un fanum en son centre. Ce dernier est flanqué à l’ouest par deux absides inscrites dans des rectangles, avec une cour, un portique et une structure en son centre. Ce bâtiment est situé face à un édifice vu par prospection géophysique, dans la parcelle attenante. Leur similarité nous fait penser à un ensemble bâti cohérent.
4.2.2. Quartier B (UD n° 11)
Un premier quartier résidentiel, noté B, s’étend en ligne le long de la rue 1. Il s’agit là des premières habitations sud de l’agglomération. Ce quartier mesure environ 150 m de longueur pour une largeur de 27 mètres. Il s’agit d’un habitat dense, sous la forme d’îlots, ouvrant sur la rue avec un portique longeant les façades des maisons. Ces grandes maisons présentent des locaux de façade (boutiques ?) derrière lesquels se développe une grande cour avec les habitats d’un côté et d’autres locaux, plus utilitaires, de l’autre. Le quartier a sans doute été remanié puisque nous pouvons observons quelques maçonneries d’orientation divergente, notamment au nord. Il pourrait s’agir soit de maisons de commerçants, soit d’auberges.
4.2.3. Quartier C (UD n° 13, 39)
Un second quartier d’habitat apparaît au sud-ouest de l’agglomération, face au quartier B. les plans sont ici difficilement interprétables. En 1994, ce quartier est interprété comme étant éventuellement un ensemble thermal grâce à la superficie des vestiges visibles. Les quelques tronçons de murs visibles ne sont en tout état de cause pas suffisants pour pouvoir avancer une interprétation concrète de ce quartier.
4.2.4. Quartier D (UD n° 15, 19, 20)
À l’ouest du quartier A s’étend un autre quartier suivant l’axe nord-sud de la rue 2. L’habitat y est beaucoup plus lâche que dans les autres quartiers. Les maisons sont très espacées les unes des autres mais les traces de murs restent là aussi assez ténues. Elles s’organisent autour d’une vaste cour rectangulaire délimitée par des murs, les pièces d’habitat semblent plutôt installées latéralement, sur les grands côtés. Mais ces espaces sont peut-être intégrés à de plus grands ensembles que l’on n’arrive pas encore à saisir dans l’état actuel des choses. En tout cas, ces structures sont similaires à celles vues plus au nord dans le quartier G, et plus au sud dans le quartier C.
4.2.5. Quartier E (UD n° 8)
Le quartier E constitue de loin le mieux connu car les traces tant saisies par l’archéologie aérienne que par la prospection magnétique sont denses et précises, même si leur lecture peut s’avérer parfois compliquée du fait des perturbations dues à l’épandage de matériaux en terre cuite ou des couches de démolitions. C’est dans ce quartier qu’eurent lieu les fouilles de 1872, si bien que l’on possède quelques éléments pour avance une chronologie relative. Ce quartier central est encadré par les rues 1 et 2, alors que la rue 5 vient desservir son cœur. Il se développe donc en deux bandes d’habitations parallèles, toutes deux possédant une façade aménagée clairement visible sur la bande ouest. Toutes ces maisons sont quasiment similaires, faisant parfois alterner des îlots larges et des îlots plus étroits, sans que l’on puisse cependant déterminer une régularité métrique. Cette impression nous est confirmée par le rapport de fouilles de 1872 : deux maisons ont été explorées, celle du sud a une largeur double de celle de sa voisine. Ces maisons sont organisées sur un plan courant dans le nord-est des Gaules ; les bâtiments sont disposés autour d’une cour centrale rectangulaire ; en façade, on trouve une série de boutiques ouvrant sur une galerie couverte ; la cour communique avec la rue par un couloir aménagé entre les boutiques. Sur les trois autres côtés de la cour sont disposés avec régularité une série de petits locaux. La bande d’habitation est s’ouvre sur la rue 1. Celle-ci est plus irrégulière que la bande voisine mais le plan de son habitat est tout à fait comparable. Au nord de ces ensembles se trouvent également d’autres structures d’habitat dont l’orientation diverge quelque peu. S’agit-il de structures contemporaines ou antérieures à ce quartier ?
4.2.6. Quartier F (UD n° 21)
À l’ouest du quartier E, nous retrouvons un nouveau quartier d’habitat qui cette fois-ci est orienté est-ouest. Celui-ci donne alors directement sur la rue 4, par l’intermédiaire d’un portique couvert. Nous observons d’ailleurs que la chaussée de la rue 4 se dédouble à cet endroit pour entrer sous la galerie et desservir les habitations. Ces dernières possèdent un plan tout à fait classique et similaire aux autres plans d’habitat de l’agglomération. Nous distinguons plusieurs entités distinctes possédant en arrière de vastes cours et jardins. Il semblerait également que l’arrière de ces habitations possède une voie d’accès indépendante grâce à la rue n° 8.
4.2.7. Quartier G (UD n° 24, 26)
Sur les pentes sud du Mont-Aïgu se développe un dernier quartier d’habitation suivant la forme de la rue n° 2. Cet habitat est toutefois extrêmement difficile à lire très certainement dû à une forte érosion des terrains à cet endroit. On distingue toutefois plusieurs entités ouvrant sur la rue et possédant des cours arrière. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’ensemble de l’occupation nord est circonscrite par une anomalie magnétique interprétée comme un fossé dont la fonction reste hypothétique. Il pourrait ainsi s’agir d’un fossé de canalisation de l’eau pour éviter les ruissellements provenant du sommet du Mont-Aïgu (?). Celui-ci se prolonge outre la rue 1, en direction de l’est. Certes beaucoup moins marqué, le même phénomène peut être observé à l’ouest du quartier F.
4.2.8. Le sanctuaire (UD n° 29)
Tout à l’est de l’agglomération, un vaste complexe cultuel tout à fait caractéristique se développe. On y trouve deux fana de tailles différentes inscrits dans un vaste péribole formant un espace d’une superficie d’environ 2,5 hectares et possédant sa propre voie d’accès, la rue 6. Ce sanctuaire intègre également trois enclos funéraires d’origine protohistorique. À l’est de ce complexe se trouve, pour terminer, un dernier ensemble certainement contemporain aux enclos funéraires. Ce vaste ensemble fossoyé peut être interprété comme l’enclos d’une ferme gauloise. Même s’il ne s’agit pas là de structures bâties d’époque antique, il est tout à fait important de noter la présence de ce type de structures qui nous renseigne sans aucun doute sur l’origine de l’agglomération antique de Beneuvre.
4.3. Nécropole
Aucune nécropole antique n’a été découverte en marge de l’habitat jusqu’alors. Toutefois, en 1855-1856, à « l’emplacement du bourg de Velay », a été découverte par le maçon Bilbaut une stèle funéraire (non décrite). Sur le moulage envoyé à la demande de la société archéologique on lit : D(iis) M(anibus) MAIIIV.
Une nécropole protohistorique est toutefois attestée à l’est de l’agglomération antique, grâce aux prospections géophysiques magnétiques (UD n° 4). Celle-ci se compose de trois enclos fossoyés quadrangulaires. Le plus grand, situé au sud, mesure 20 m de côté environ, pour une largeur de fossé d’environ 2 m. Situés plus au nord, les deux autres sont plus petits avec 7 et 8 m de côté. Ils possèdent tous les 3 au centre une fosse recueillant très certainement une incinération. Il s’agit là de la première occupation attestée sur le site sans pour autant être capable de préciser sa datation à l’heure actuelle. Cette nécropole précède l’installation du sanctuaire antique qui va même intégrer ces enclos dans son enceinte.
4.4. Structures fossoyées
À l’est de l’agglomération et du sanctuaire se trouve un ensemble fossoyé dont l’origine remonte très certainement à la période laténienne. Cet ensemble, découvert lors des récentes prospections magnétiques, se compose d’un grand enclos, dont nous possédons partiellement trois côtés, et d’un grand fossé face à l’entrée, à l’ouest. Les structures se poursuivent au sud-ouest avec un fossé qui se dédouble (voie ?) ainsi qu’un deuxième enclos avec angle droit, qui est moins marqué que le premier.
4.5. Etendue supposée et remarques
Les limites de l’agglomération antique de Beneuvre semblent aujourd’hui bien appréhendées, notamment grâce à la prospection géophysique. L’organisation spatiale de l’habitat et de la trame viaire, la présence de différents quartiers publics et privés, ainsi que la présence de quelques structures antérieures à l’occupation antique font également partie des nouveaux apports de cette prospection. L’agglomération s’étend ainsi sur une surface d’une vingtaine d’hectares, en comprenant le sanctuaire est périphérique. Au nord et à l’est de l’agglomération se trouvent de grands enclos fossoyés quadrangulaires attestant d’une occupation plus précoce : enclos funéraire et enclos de ferme protohistorique (?).
5. Nature de l’occupation et pertinence des éléments de caractérisation
La caractérisation de l’occupation repose d’une sur des données anciennes et des résultats de prospection pédestres qui fournissent une vision floue de la nature des activités pratiquées au sein de l’agglomération. Dans l’état actuel de la recherche, seule l’analyse de la typologie des plans du bâti peut nous fournir un indice supplémentaire sur la caractérisation de l’occupation.
5.1. Artisanat
La métallurgie du fer est pour le moment la seule activité artisanale qui peut être attribuée à l’agglomération antique de Beneuvre. Elle est attestée à partir des fouilles anciennes réalisées par la C.A.C.O. au XIXe siècle. À cette occasion a été signalée la découverte de nombreuses scories de fer, d’abondantes couches de cendres et de charbon de bois, et une structure qui pourrait être un foyer d’épuration ou de réduction. Les prospections pédestres pratiquées en 2014 prouvent aussi la présence de ce type d’artisanat et notamment sur l’ensemble du quartier central où l’on peut noter certaines concentrations de scories de fer. Le fer est abondant dans la région de Beneuvre et les fouilles de Christophe Peyre à Minot ont prouvé que son exploitation existait dès l’époque gauloise (Peyre 1982).
5.2. Habitat domestique
L’habitat domestique se caractérise par la présence de grands îlots d’habitation, répartis dans différents quartiers, où se mêlent à la fois les ateliers artisanaux et l’habitat. Il est donc assez difficile de le caractériser plus précisément d’autant plus que nous possédons seulement le plan des structures. Aucune fouille n’est venue compléter ces informations. Si ce n’est la céramique commune, les objets de la vie quotidienne sont tout particulièrement rares sur le site. Il est donc difficile de rendre compte du statut social des résidents.
L’habitat à Beneuvre est également marqué par la présence d’un grand enclos fossoyé quadrangulaire qui pourrait correspondre à une ferme protohistorique avec ses structures annexes. Toutefois, le manque de mobilier en surface ne nous permet pas de confirmer cette chronologie.
5.3. Vie religieuse
Les aspects de la vie religieuse sont relativement discrets. Un centre public avec des temples pourrait être identifié au centre de l’agglomération (quartier A). Un premier bâtiment peut être identifié comme un fanum : un grand bâtiment flanqué à l’ouest par une série de locaux quadrangulaires à l’intérieur desquels nous pourrions observer des absides. Le plan des bâtiments dans ce quartier est toutefois assez difficile à lire par photographie aérienne. Leur interprétation reste alors tout à fait hasardeuse dans l’état actuel des choses. De plus, aucune catégorie de mobilier ne vient confirmer cette caractérisation.
À l’est de l’agglomération se trouve un vaste sanctuaire qui là est très bien attesté. Il présente deux fana. Le temple principal de ce sanctuaire se trouve au centre d’un espace circonscrit par plusieurs fossés. Il mesure 70 x 55 m de côté. Au centre de cet édifice se trouve un bâtiment carré de 13 m de côté correspondant à la cella. À l’intérieur de la galerie périphérique se dessine un certain nombre de pièces dont le plan est difficilement lisible. Juste au sud de ce temple principal, se trouve un autre fanum beaucoup plus petit de 10 m de côté. L’ensemble possède sa propre voie d’accès située dans l’angle sud-ouest du péribole. Les prospections au sol au début de l’année 2014 montrent notamment des concentrations d’amphores autour du fanum, ainsi que la présence de zone d’épandage d’os brûlés et l’existence de fragments de miroir en bronze.
5.4. Installations publiques
Excepté les voies, les installations publiques échappent encore au regard. La quasi-totalité des quartiers présents sur l’agglomération est entièrement dédiée à l’habitat et à l’artisanat. Un seul pourrait échapper à cette règle au centre de la ville. Celui-ci est seulement vu grâce aux photographies aériennes qui ne permettent pas une lecture aisée de son plan. À l’intérieur de celui-ci, nous pourrions deviner un fanum entouré de plusieurs autres bâtiments dont les plans diffèrent des autres plans de l’habitat. Toutefois, l’attribution de ces vestiges et aménagements au domaine public relève de l’hypothèse.
6. Chronologie et critères de datation
En l’absence de fouilles récentes, seules les données issues des prospections pédestres et des fouilles anciennes peuvent nous permettre d’avancer certains arguments quant à la chronologie d’occupation de l’agglomération de Beneuvre. Les résultats sont alors assez succincts en ce qui concerne certaines périodes.
6.1. La Tène D
6.1.1. Monnaies
Bien que retrouvées en faible quantité, les monnaies représentent un marqueur certain prouvant une occupation dès La Tène D sur le site de Beneuvre. Ainsi, des deniers gaulois ont été recueillis à En Velay, il s’agit de deniers à légende kaletedv, des bronzes aux types gravés dans Lewel pl. VI, 49 et pl. n° 38 (Jeunot 2000, p. 13). Les fouilles pratiquées en 1872 par la C.A.C.O. a également mis au jour 6 monnaies gauloises mais sans plus de précision quant aux types et leur provenance exacte. L’ensemble des recherches menées au cours du XIXe siècle dans l’agglomération a livré une forte proportion de monnaies gauloises (le tiers du lot) qui indique que le site était occupé au Ier siècle av. J.-C. Plus récemment, deux potins furent retrouvés lors des prospections réalisées en 2014 : un potin à la grosse tête et au bandeau lisse type GTA 1, et un potin à la triskèle (décor ternaire) LT 8329 attribué aux Lingons. Ces derniers, d’époque La Tène D1, ont été découverts à proximité du sanctuaire et de la nécropole à enclos d’époque protohistorique.
6.1.2. Céramiques…
La céramique constitue un marqueur peu fiable pour caractériser la période laténienne à Beneuvre puisqu’aucune forme n’a pu réellement être identifiée, et notamment lors de la prospection au sol de 2014. Seules quelques pâtes grossières sombres peuvent être attribuées à cette période et permettent de localiser d’éventuels secteurs occupés dès cette période. Sans aucune surprise, il s’agit de la zone du sanctuaire et de la nécropole. Quelques tessons furent cependant également retrouvés au cœur de l’habitat du quartier central.
6.2. Haut-Empire
6.2.1. Monnaies
De nombreuses monnaies du Haut-Empire ont été découvertes sur l’agglomération antique de Beneuvre au cours des fouilles anciennes ou des prospections mais aucune ne nous est aujourd’hui parvenue. L’étude numismatique reste donc pour l’heure actuelle impossible.
6.2.2. Céramiques…
Les fouilles de 1872 montrent, grâce au mobilier, que le site est occupé jusqu’au IVe siècle. Cette hypothèse avancée est aujourd’hui confirmée par le résultat des prospections pédestres charroyées de 2014. La céramique gallo-romaine représente de très loin le groupe de céramique le mieux représenté au sein du site. Parmi le peu de formes remarquables collectées, aucune n’a pu être identifiée comme appartenant au Bas-Empire. L’essentiel est donc rattachable à la période du Haut-Empire. Le nombre maximum de fragments recueillis par carré (10 x 10m) est de 34 NR. La répartition de cette catégorie de mobilier céramique est tout à fait homogène, coïncidant avec les structures sous-jacentes détectées par la prospection géophysique. Quelques céramiques de stockage sont à noter avec notamment des dolia et des amphores, mais la céramique la plus récurrente est la céramique de consommation courante commune claire, et dans une moindre mesure la céramique commune sombre : cruche, pot, jatte, bouteille, marmite, assiette, plat… Les céramiques sigillées sont elles aussi fréquentes sur le site puisque nous en retrouvons sur l’ensemble du carroyage. D’un point de vue chronologique, le faciès est homogène et démontre une période d’occupation allant du début du Ier siècle à la fin du IIIe siècle de notre ère. Les amphores Dressel 1B et C sont les marqueurs les plus anciens que l’on peut identifier sur le site. Celles-ci vont essentiellement se retrouver sur le sanctuaire. Les périodes augustéennes et augusto-tibériennes (début Ier siècle ap. J.-C.) sont, elles, représentées par la présence de céramiques communes sombres dont des imitations de Terra-Nigra avec des assiettes de forme Menez 8, 20/21 et 33 (Menez 1989). Des fragments de céramiques à paroi fine typique des faciès lingons ont aussi été mis au jour, datable du début du Ier siècle (Joly, Barral et al. 2008, p. 373, fig. 15). Les Ier et IIe siècle sont également illustrés par des tessons de sigillée Drag. 18, 31, 33, 37, 40 et Curle 23. Nous retrouvons pour ces périodes des céramiques communes claires en très grand nombre (cruche, pot…), des plats à engobe rouge interne ou des céramiques à paroi fine engobée. Pour terminer, les derniers indices d’occupation du secteur remontent à la fin du IIIe siècle, voire le début du IVe siècle, avec quelques exemples de céramiques à revêtement argileux de type métallescente dont des formes Chenet ou de Domecy-sur-Cure. Les fragments postérieurs à cette époque sont peu nombreux, ce qui laisserait supposer une occupation faible du site pour la période du Bas-Empire. En tout état de cause, le site semble être abandonné dès le IVe siècle.
6.3. Bas-Empire
Comme précisé précédemment, le Bas-Empire est très peu représenté à travers les prospections récemment réalisées. Le site doit ainsi être peu à peu abandonné dès le IVe siècle de notre ère.
6.4. Haut Moyen Age
Le site n’a livré aucun artefact du haut Moyen Age, ce qui suppose qu’à cette époque l’occupation s’était déplacée sans doute plus à l’ouest sous le bourg actuel.
7. Synthèse sur la dynamique d’occupation
Le site semble occupé dès le milieu du Ier siècle av. J.-C., à la Tène D. Dans l’état actuel des recherches, cette occupation prend la forme d’une nécropole composée de 3 enclos funéraires et d’un ensemble fossoyé correspondant à une ferme gauloise. Au nord du site actuel se trouvent également d’autres enclos attribuables, par leur typologie, à cette période. L’agglomération telle que nous la connaissons à ce jour apparaît très vraisemblablement au début du Ier siècle de notre ère avec sa trame viaire et ses différents quartiers d’habitats. En l’absence de fouille, il est donc difficile d’associer une chronologie précise au phénomène d’urbanisation de la ville avec ses remaniements et son développement. Les fouilles réalisées en 1872 ont toutefois observé plusieurs indices sur ces phénomènes. Ainsi, le rapport de fouilles de 1872 précise qu’il existe deux orientations différentes de bâtiments dans le quartier central, décalées d’environ 30 degrés ; en outre, il nous assure de la présence de deux types de constructions de murs (sans toutefois évoquer une relation entre orientations et types de murs). Certains sont larges de 0,50 m, sont construits en petit appareil régulier ; d’autres, larges de 0,60 m, ont un appareil irrégulier et jointoyé au fer. Il a donc dû exister un premier quartier au Ier siècle qui fut peu à peu transformé et remplacé par une nouvelle trame régulière pour arriver à un habitat avec un long portique en façade, des boutiques ouvrant sur la rue et une série de locaux et cours en arrière. L’ensemble de l’habitat de l’agglomération est plutôt homogène dans sa typologie.
L’origine du sanctuaire n’est pas déterminée avec exactitude. Sans savoir s’il succède à un lieu de culte protohistorique, il est certain que celui-ci se superpose à la nécropole à enclos. Ces derniers sont même intégrés à l’intérieur du péribole. Le sanctuaire tel que nous l’avons découvert en prospection géophysique doit très certainement daté des IIe-IIIe siècles, période d’apogée de l’agglomération.
Ainsi, d’après l’ensemble des indices réunis, l’agglomération antique de Beneuvre se développe entre le début du Ier siècle et la fin du IIIe, voire début IVe siècle de notre ère. L’occupation doit sans doute ensuite se déplacer pour le haut Moyen-Age. Des sépultures mérovingiennes sont connues dans l’environnement immédiat du site, le long de la voie romaine de Vertault.
8. Perspectives de recherche
Le site est maintenant bien appréhendé du point de vue de sa compréhension spatiale, même si le secteur sud-ouest de l’agglomération peut encore nous révéler des surprises. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir si nous sommes là en présence d’un centre public ou d’un habitat similaire aux autres. Les marges de l’agglomération et son extension sont également des sujets maîtrisés.
Le seul problème subsistant à Beneuvre reste la question de la chronologie. Il serait extrêmement intéressant de mettre en place un phasage plus précis du phénomène d’urbanisation au sein de l’agglomération. Tout d’abord en comparant l’évolution des quartiers les uns aux autres, puis à l’intérieur même des quartiers afin d’observer s’il existe des évolutions dans les architectures. Pour cela, il faudrait très certainement continuer le programme de prospection pédestre systématique engagé en 2014 afin d’obtenir un ensemble de données homogènes sur l’ensemble du site.
9. Bibliographie
Arbaumont 1870-1873 : ARBAUMONT d’ (J.) – Compte rendu des travaux de la Commission des Antiquités de la Côte d’Or du 1er juillet 1869 au 1er juillet 1870, Mémoire de la Commission des Antiquités de la Côte d’Or, t. 8, 1870-1873, p. I- XXXVIII.
Arbaumont 1894 : ARBAUMONT d’ (J.) – Catalogue du Musée de la Commission des antiquités du département de la Côte d’Or, éd. Lamarche, Dijon, 389 p.
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Provost et alii 2009 : PROVOST (M.) – Beneuvre, Carte Archéologique de la Gaule : La Côte d’Or 21/2, Académie des Inscriptions et des Belles Lettres, Paris, 2009, p. 72-79.
Loïc Gaëtan